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très grandes difficultés, ni très grosses dépenses. L’effort financier sera moindre pour joindre le Victoria à Buluwavo, que pour aller à Mombasa. Vers le Nord, du Victoria au lac Albert, c’est un chemin de fer en montagne, et de même jusqu’au fort Barclay. J’ai vu tous les bons esprits anglais désillusionnés de ce que l’on a appelé la voie du Nil. Les projets les plus grandioses, comme d’abaisser le seuil des cataractes, ont été lancés pour l’asséchement des marais du fleuve. Dans ce pays, ni terre, ni eau sur près de 1 000 kilomètres, un steamboat risque toujours de manquer de combustible et ses passagers de mourir de faim. Dans le Sud, un amas d’herbes flottantes enserre le bateau comme la glace des banquises, et l’empêche d’avancer pendant que de l’eau noire montent les miasmes qui tuent les passagers. Lancer une voie ferrée latérale au Nil, paraît être tenter l’impossible, dans cette Afrique où les eaux sont si variables, tantôt hautes à tout renverser, tantôt complètement évaporées. Combien de coolies sont morts aux travaux du chemin de fer de Mombasa, et, si l’Angleterre les envoyait remuer de la boue dans l’Ouganda, les Hindous seraient bientôt réfractaires à cette application de la théorie de Malthus en leur pays.

La leçon de l’histoire est là pour nous faire craindre que les marais du Nil ne soient infranchissables. Car les Égyptiens furent grands remueurs de terre et bons bateliers. Les richesses des pays d’outre-équateur ont toujours filtré à travers les marais et tenté la cupidité des Pharaons et de leurs sujets. Ce spectacle étrange de voir un lieutenant de Gordon, Émin-Pacha, régner pendant plusieurs années sur l’Équatoria, après le désastre de son chef à Khartoum, ne s’explique que par l’obstacle infranchissable au bateau du Madhi vainqueur.

J’ai dit que l’opinion générale anglaise en Ouganda était unanime sur l’impossibilité de franchir les marais du Nil. Ingénieurs et officiers parlent tous dans ce sens ; seul un habile diplomate m’a dit être d’un avis contraire. J’eus l’honneur de revenir de Mombasa à Zanzibar avec sir H..., consul général pour les possessions orientales. Je n’étais chargé, comme je l’ai déjà dit, d’aucune mission du gouvernement français. Le secret de mes efforts, de mes travaux, était à moi seul : j’avais donc toute liberté d’action. Sir H.,., connaissant à m’étonner moi-même toutes les circonstances de mon voyage en Ouganda, fut assez aimable pour m’en entretenir longuement. Le consul