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Avant eux les Arabes, maîtres de Tanger, l’appelaient Taoura. Au début de l’histoire méditerranéenne, les Phéniciens de Carthage ou de Tyr, caboteurs des côtes africaines, durent aussi lui donner un nom. Ils avaient même beaucoup plus de raisons de la connaître que les Arabes ou les Espagnols. Pour leurs petits bateaux, cette île avait une utilité qu’elle n’offre plus aux grands vaisseaux modernes. A l’intérieur du détroit, elle était pour eux le seul mouillage absolument sûr, le seul refuge à couvert des deux vents qui se disputent ce couloir, vent d’Est et vent d’Ouest. Sur tout le développement de ses côtes, espagnoles ou africaines, le détroit ne présente pas beaucoup d’abris où l’on soit couvert de ces deux vents à la fois. La plupart des mouillages, abrités d’un côté, sont ouverts de l’autre. Sur la côte d’Espagne, le seul port d’Algésiras, couvert par la haute terre des vents de l’Ouest, est bien abrité par l’île Verte des vents de l’Est : c’est grâce à cette île Verte que la côte espagnole offre à nos grands bateaux le seul mouillage à peu près sûr, le Port de l’Ile, Al-Djeziret, disaient les Arabes ; nous disons Algésiras.

Pour les petits bateaux de l’antiquité, la côte africaine avait aussi, grâce à Perejil, son Port de l’Ile et, pour les caboteurs africains, ce port était aussi le seul mouillage couvert de toutes parts. En venant de Ceuta, dont la rade foraine est ouverte à tous les vents, on rencontre d’abord, au pied même du Mont-aux-Singes, une baie que nos marins appellent rade de Benzus : une haute et longue pointe, la Pointe du Lion, protège cette baie contre les vents d’Ouest, mais en laissant encore passer les rafales, et rien ne la protège contre les vents d’Est. Cette baie dut pourtant à ses sources de posséder une ville importante des Arabes. Les géographes arabes Edrisi et Aboul-Féda vantent pour la fertilité de son territoire cette ville qu’ils appellent Beliounesh et qui fut, disent-ils, un grand port du corail : cette anse de Beliounesh offre, en réalité, toutes les conditions indispensables à l’existence d’une nombreuse population ; l’eau, assez rare sur toute cette côte, jaillit ici en abondance. Mais c’est de l’autre côté de la Pointe du Lion que se trouve la véritable Algésiras africaine : les contreforts du Mont-aux-Singes dessinent une rade très encaissée qui renferme notre île de Perejil. « Si ce n’était l’hostilité des Maures, disent les Instructions, les petits bâtimens auraient entre l’île et la côte un bon abri contre les vents d’Est et d’Ouest. En cas de nécessité, on pourrait faire