Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais on voit que cette île de Kalypso, si légendaire en apparence, devient une réalité tangible, quand on admet avec Strabon que des marins sémitiques ont été les maîtres d’Homère, que des récits ou mieux des périples phéniciens ont été la vraie source des poèmes homériques, du moins de l’Odyssée : « Si Homère, dit Strabon, décrit si exactement les contrées de la mer Extérieure et de la mer Intérieure, c’est qu’il tenait sa science des Phéniciens. » Il a fallu qu’une marine phénicienne existât avant ou pendant la composition de ces poèmes. Et en outre il a fallu que des monumens écrits, relatant ces navigations sémitiques, fussent entre les mains du poète odysséen. Car la description de l’île de Kalypso ne peut pas être le souvenir plus ou moins déformé de récits populaires, de contes oraux. Elle est d’une telle exactitude et d’une telle minutie que nous avons pu, à chaque pas, la mettre en regard des Instructions nautiques et constater son absolue fidélité. Je crois que le poète a eu sous les yeux un périple écrit : il en a tiré ses descriptions ou ses légendes anthropomorphiques suivant un procédé que nous allons facilement découvrir. Je crois même que l’on peut prouver l’existence du périple en prouvant l’existence du procédé. Cette preuve, la voici.

De tous les détails qui, dans le poème, caractérisent l’île de Kalypso, Perejil nous a rendu le plus grand nombre. Les Instructions, descriptions et photographies nous fournissent tous les traits de l’île odysséenne, sauf deux ou trois. Car Perejil actuellement a des fourrés, mais n’a pas de grands arbres. Et Perejil n’a pas de vigne. Et Perejil n’a pas de sources. Or l’île de Kalypso est boisée ; elle a des aulnes, des peupliers et des cyprès. Et elle a une vigne merveilleuse, chargée de grappes. Et elle a quatre sources. Regardons ces trois différences. Il est inutile d’insister sur la première. Si Perejil et la côte voisine sont dénudées aujourd’hui, c’est la faute non pas du sol, mais du pâtre rifain ou des mariniers. Le sol de l’île est apte à porter des arbres : il est encore couvert d’une épaisse végétation arborescente. Avant les feux de l’homme, il est possible que cette île et la côte fussent entièrement boisées. Cela même paraît à peu près certain. Les Anciens nous disent tous que les parages du détroit étaient jadis couverts de forêts : Euctémon parle des îles boisées du golfe d’Algésiras ; Aviénus parle des forêts opaques couvrant les monts de Tartessos, et Strabon parle des forêts de la Mauritanie, « terre boisée à l’excès de très grands et très nombreux