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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/42

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à grand orchestre, sur la sublimité et l’importance actuelle du métier de prêtre. Il s’adressait bien. C’est assez de recevoir des coups de bâton sans baiser encore la trique.


A sa mère.


Poitiers, 6 juillet 1852.

Où et comment achèverai-je l’année ? Je n’en sais rien encore ; j’ai reçu la réponse de Paris et l’on me fait des difficultés sur les conclusions de ma thèse ; je n’aurai une décision complète que lorsque deux autres professeurs auront été consultés : l’un est M. Saisset, mon ancien maître. Je lui écris une lettre très polie, mais très vive, lui représentant que celles de mes idées qu’il trouve dangereuses sont déjà dans les philosophes les plus accrédités, que j’ai satisfait à tout le règlement du doctorat, que j’envoie deux théories entièrement originales et qui résolvent deux difficultés déclarées jusqu’alors inexplicables, surtout que la Faculté déclare en tête des thèses qu’elle n’approuve ni ne blâme les opinions des candidats ; que, par conséquent, sa responsabilité est à couvert, etc. S’ils me rejettent, j’ai ici une porte : je connais M. Bertereau, professeur à la Faculté de Poitiers, et peut-être parviendrai-je à passer ! Mais tout cela est encore incertain, et sitôt que je saurai à quoi m’en tenir, sois sûre que tu en auras la première nouvelle.

Faire son chemin est bien difficile, n’est-ce pas ? Je me souviens en ce moment d’une grande maxime que nous lisions l’an dernier dans Stendhal[1] : « Sous un gouvernement absolu, la première condition pour réussir est de n’avoir ni enthousiasme ni esprit. »

J’admire ici de bon cœur nos grands hommes administratifs. Le recteur est un ancien professeur de grammaire, sec, étroit, pédant, dogmatique, vrai rouage qui grince et qui grogne, et voudrait que j’employasse ma classe à corriger les fautes de ponctuation. — Le proviseur a la même origine, mais ce n’est qu’une pâte molle, un tampon de coton ou de laine, qui n’est rien par lui-même et cède à toutes les impressions sans en garder une seule. — Plus je vis et plus j’abaisse le niveau où ma pensée élevait les hommes, et je crois que j’aurai encore à baisser bien fort ma mesure pour arriver à leur juste hauteur.

  1. La Chartreuse de Parme, ch. VI.