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Pourtant elle n’a pas été assez forte contre l’espèce la plus corrompue des corruptions, contre le chrétien… »

Opposer le Christ au christianisme, montrer dans la religion chrétienne une altération de la vraie doctrine évangélique et dans les évangiles eux-mêmes un commencement d’altération du vrai Jésus, ce nest pas sans doute chose nouvelle : Nietzsche, à son tour, reprend la tâche. « Il n’y a eu qu’un seul chrétien, dit-il, et il est mort sur la croix. » Au reste, qui a mieux saisi et rendu, dans ses grands traits, la physionomie du Christ que lantichrétien qui fut Nietzsche ? « Ce n’est pas, dit-il, sa foi qui distingue le chrétien, » entendez le vrai disciple du Christ ; « le chrétien agit, il se distingue par une manière d’agir différente. Il ne résiste à celui qui est méchant envers lui ni par des paroles, ni dans son cœur. Il ne fait pas de différence entre les étrangers et les indigènes… Il ne se fâche contre personne. Il ne méprise personne. Il ne se montre pas aux tribunaux et ne s’y laisse point mettre à contribution (ne pas prêter serment). Tout cela est, au fond, un seul axiome, tout cela est la suite d’un instinct. La vie du Sauveur n’était pas autre chose que cette pratique ; sa mort ne fut pas autre chose non plus… Il n’avait plus besoin ni de formules, ni de rites pour les relations avec Dieu, pas même de la prière. Il en a fini avec tout l’enseignement juif de la repentance et du pardon ; il connaît seul la pratique de la vie qui donne le sentiment d’être divin, bienheureux, évangélique, toujours enfant de Dieu. La repentance, la prière pour le pardon ne sont point des chemins vers Dieu ; la pratique évangélique seule mène à Dieu, c’est elle qui est Dieu. Ce qui fut détrôné par l’Evangile, c’était le judaïsme de l’idée du péché, du pardon des péchés, de la foi, du salut par la foi ; toute la dogmatique juive était niée dans le joyeux message. »

Nietzsche attribue au fondateur du christianisme « l’instinct profond pour la manière dont on doit vivre, afin de se sentir au ciel, afin de se senivc, éternel, tandis qu’avec une autre conduite on ne se sentirait absolument pas au ciel ; cela seul, dit Nietzsche, est la réalité psychologique de la rédemption. Une vie nouvelle, et non une foi nouvelle ! »

S’inspirant de tout le travail de l’exégèse allemande et de tout le symbolisme cher à la philosophie allemande, Nietzsche ajoute ces paroles caractéristiques : « Si je comprends quelque chose chez ce grand symboliste, c’est bien le fait de ne prendre