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Il est assez délicat d’offrir le bien d’autrui à qui ne vous le demande pas. Il faut y être au moins encouragé. Et l’Empereur ne l’encouragea pas. Il connaissait les mauvaises dispositions constantes de Léopold à son égard ; il était mécontent de l’immunité que son gouvernement assurait à ses ennemis et à ses calomniateurs les plus acharnés ; mais il eût considéré comme un acte de brigandage digne d’exécration de fondre sur un petit peuple content de sa destinée. La Belgique n’en était plus aux désarrois de 1830. Sa vie propre s’était constituée, elle jouissait d’institutions libres, et elle n’avait aucun désir de venir incliner son cou sous le pouvoir personnel, les candidatures officielles et les avertissemens. Non seulement elle n’eût pas souscrit par ses votes à une annexion ; elle y eût résisté par les armes ; il eût fallu entreprendre contre elle une guerre de conquête, dans laquelle elle aurait eu certainement l’Angleterre à ses côtés, surtout alors que la mort de son premier roi Léopold venait de raviver l’unanimité du sentiment national autour du jeune héritier.

Il ne fut donc pas plus question de la Belgique que des provinces rhénanes et que des pays quelconques où l’on parlait français. Bismarck eut beau s’ingénier, il n’obtint que des complimens et des paroles vagues. Il ne fut pas plus heureux quand, repassant par Paris, il revit l’Empereur, qui avait quitté Biarritz avant lui. — « Pour s’entendre sur l’avenir des relations de la Prusse et de la France, lui dit Napoléon III, il n’est pas indispensable de précipiter les événemens ; il faut les attendre ; alors nous y conformerons nos résolutions. » Le Roi pouvait lui écrire confidentiellement aussitôt que les circonstances paraîtraient exiger une entente plus étroite et plus spéciale ; il serait alors facile d’arriver à cette entente.


Le récit que fait Sybel de ces conversations est inexact. Ainsi, quand on a pratiqué l’Empereur et connu son calme, d’autant plus imperturbable qu’il était intérieurement plus agité, on ne le voit pas dans la pose mélodramatique que lui donne Sybel, demandant avec solennité et accueillant avec émotion une réponse sur la garantie de la Vénétie. Cette solennité et cette émotion eussent été hors de saison : l’Empereur avait appris de tous les côtés, d’une manière absolument sûre, que la Prusse n’avait pas garanti la Vénétie à l’Autriche, et c’est pourquoi il