Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a longtemps que je pensois à ce qui se fait actuellement[1]. » S’il fallait en croire Proyart, le Duc de Bourgogne aurait même dit en riant à sa femme : « Hé bien ! Madame, aurez-vous le courage de prier Dieu pour un mari qui va combattre contre votre père ? Priez du moins pour l’un et pour l’autre. » Et la princesse n’aurait répondu que par des larmes[2]. Si le propos a véritablement été tenu, il montrerait seulement que le Duc de Bourgogne avait la plaisanterie un peu lourde. Ces cruelles perplexités furent, au reste, épargnées à la pauvre princesse. Quelques jours après la désignation de son mari pour commander l’armée qui devait être opposée à son père, on apprit que le siège de Toulon avait été levé par les troupes du duc de Savoie. Le bon Proyart exagère un peu les choses lorsqu’il dit : « L’armée, qui avoit désigné le Duc de Bourgogne pour son général avant même qu’il n’en fût question à Versailles, se crut invincible lorsqu’elle apprit quelle alloit l’avoir pour chef, et le bruit de sa prochaine arrivée jeta le découragement et la terreur dans l’armée des confédérés, en sorte que le duc de Savoie leva le siège à la hâte, avec le regret d’avoir fait inutilement d’immenses dépenses et perdu quatorze mille hommes dans cette tentative. » La vérité, c’est que Toulon ayant opposé une vigoureuse résistance, un engagement heureux ayant eu lieu le 15 août entre Français et Savoyards sous la conduite de Tessé qui se fit honneur, et l’armée assiégeante étant décimée par les maladies et les désertions, Victor-Amédée se découragea brusquement et comprit l’inanité de son entreprise. Les invasions de la France par la Provence n’ont jamais eu un heureux succès, et, là où l’empereur Charles-Quint avait échoué, ce n’était pas le duc de Savoie qui pouvait réussir. Sans doute il le comprit, et le Duc de Bourgogne n’eut même pas à bouger de Versailles.

C’était quelque chose cependant pour lui que cette désignation pour un commandement important, lors même qu’elle était demeurée purement nominale, car elle contenait implicitement une promesse pour l’année suivante, et lui faisait entrevoir la fin de cette oisiveté où il se consumait. Elle devait en même temps l’aider à se consoler d’un mécompte que lui avait apporté le commencement de l’année. La Duchesse de Bourgogne ne lui avait encore donné qu’un enfant. Grosse de nouveau dans les premiers

  1. Bibliothèque nationale, Ms. fr. Papiers de Vendôme, 14 177, p. 300.
  2. Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XV, p. 175.