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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/592

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extraordinaire de ce que le Roi a pris cette résolution[1]. » « Vous comprenez aisément quelle est ma joie, écrivait, en effet, la veille, le Duc de Bourgogne à Philippe V. Mon frère de Berry en est ravi aussi, mais le Roy lui a défendu d’en rien témoigner et il se contient à merveille. Ce m’est un grand plaisir, après une interruption de quatre années entières, de me voir en quelque sorte rentrer dans le service et ne pas toujours demeurer inutile à Versailles, Marly ou Fontainebleau. » A défaut du génie militaire, qui malheureusement lui faisait défaut, le Duc de Bourgogne avait au moins l’ardeur guerrière, et Louis XIV avait raison lorsque, l’année précédente, parlant du courage personnel de son petit-fils, il ajoutait fièrement : « Ceux de sa race n’en ont jamais manqué. »

Même à ce frère avec lequel il s’exprimait librement, le Duc de Bourgogne ne dit rien cependant de son association avec Vendôme. Ce silence donne à penser qu’il s’en réjouissait médiocrement, et il n’avait pas tort. Nous avons remis jusqu’à présent à parler de ce singulier personnage, que cependant nous avons déjà rencontré en Italie, tenant tête, non sans honneur, au prince Eugène, et désarmant les troupes du duc de Savoie. Mais, pour la besogne qu’il avait à faire alors, son caractère importait peu, tandis qu’aujourd’hui, que nous l’allons voir en dissentiment secret et bientôt en hostilité ouverte avec le Duc de Bourgogne, il est nécessaire de le bien connaître. Saint-Simon, à plusieurs reprises[2], l’a peint avec une vigueur de touche qui ne laisserait à corriger aucun trait, si son habitude n’était pas, lorsque le personnage lui déplaît, de pousser le portrait au noir, à tel point que la ressemblance s’en trouve altérée. Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose à retrancher de ce qu’il a dit, mais il faut ajouter ce qu’il ne dit pas.

Vendôme était, comme chacun sait, arrière-petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées par son grand-père, appelé à la cour de Louis XIII César Monsieur, appellation bizarre que Saint-Simon appelle « une singularité béarnoise[3]. » Celle descendance directe d’Henri IV explique la complaisance et même la faiblesse dont Louis XIV fit toujours preuve à l’endroit de Vendôme, pour le

  1. Dangeau, t. XII, p. 126.
  2. Voyez en particulier les Mémoires, édition Boislisle, t. XIII, p. 219, et une Addition au Journal de Dangeau, t. XIV, p. 165.
  3. Écrits inédits de Saint-Simon, t. V, p. 451.