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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/658

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REVUE DES DEUX MONDES.

Mais cet exode des Kuméens est, de toute nécessité, postérieur à une certaine date, à l’an 1049 avant Jésus-Christ. Car les Anciens reportaient à cet an 1049 la première fondation de Kume. Les modernes ont rejeté cette tradition : cette date est, disent-ils, beaucoup trop vieille pour l’établissement d’une colonie grecque, où qu’elle soit et quelle qu’elle soit ; dans les mers occidentales, les premières colonies des Grecs, leurs colonies de Sicile, ne remontent qu’au VIIIe siècle. L’Odyssée nous donne, je crois, l’explication de cette apparente anomalie. La Haute Ville de Campanie fut réellement fondée en 1049 — au XIe siècle, dirons-nous moins précisément — non par des Hellènes, mais par d’autres peuples de la mer, qui lui donnèrent son nom sémitique de Kume, et que les sauvages indigènes chassèrent ensuite, comme aux temps historiques ils chasseront les Hellènes revenus à cette côte campanienne. Notre poème odysséen est postérieur, de deux générations, à la fuite de ces premiers Kuméens ; cette fuite elle-même ne dut pas survenir aussitôt après la fondation de la ville. En comptant donc cent cinquante ou deux cents ans entre la première fondation de Kume et la rédaction de l’Odyssée, nous faisons, je crois, un calcul assez probable et nous retombons sur la date que nous donnait Hérodote : « Hésiode et Homère sont mes aînés de quatre cents ans, pas plus, Ἡσίοδον γὰρ ϰαὶ Ὅμηρον ἡλιϰίην τετραϰοσίοισι ἔτεσι δοϰέω μευ πρεσϐυτέρους γενέσθαι ϰαὶ οὐ πλέοσι. » C’est au plus tôt vers 850 avant Jésus-Christ qu’il faudrait, je crois, placer la composition (je ne dis pas la rédaction dernière) de l’Odyssée, par un poète grec « disciple des Phéniciens, » comme dit Strabon, οἱ γὰρ Φοίνιϰες ἐδήλουν τοῦτο.

Victor Bérard.