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Tournès, et la plus vibrante des toiles de M. La Touche : ce ne sont que coins de chambres, ou de salons, ou de cuisines, ou de boudoirs ; portraits de bustes, paysages de tapis, de tentures, lointains de glaces, jours de souffrance, hantés parfois d’une figure, le plus souvent à contre-lumière, obscure, immobile, douée d’une vie à peine plus consciente que ses bibelots et d’une action à peine plus volontaire, que sa pendule semblant, comme chez Pieter de Hooch, un meuble nécessaire du home, ou son émanation.

Considérez maintenant les toiles exquises de M. Waller Gay Chez Helleu et Les Dessins, celles de M. Brounzos, de Mlle Germaine Druon, de Mme Louise Galtier-Boissière, de Mme Madeleine Huot, de M. Moreau-Nélalon, de M. Norcross, de M. Picquefeu. Pas un être humain ne les anime. La figure est proscrite. C’est de la peinture de misanthropes, ou plutôt, de subtils intimistes, évoquant la figure familière du home par les empreintes qu’elle a laissées, par ces mille, riens où tout ce qui importe se révèle à l’Ame observatrice et où à une Ame étrangère tout est étranger. Majesté de ce qui est silencieux et de ce qui est immobile, demi-confidences des portes entr’ouvertes sur d’autres pièces vides, révélations des glaces sur les choses adverses, allusions, par les plis des coussins, aux attitudes passées et, par la dégradation des couleurs, aux soleils anciens, solennité de la pendule où se promène l’aiguille comme un doigt qui effacerait circulairement quelque chose, lente agonie des fleurs aux lèvres des vases, visite quotidienne à la même heure, du rayon ami qui s’insinue, qui s’étale, qui réchauffe, qui incendie, puis qui décroît, et s’en va plus loin porter d’autres caresses indicatrices et réveiller d’autres couleurs endormies : voilà ce que le peintre d’intérieurs peut nous montrer en attendant que rentre la figure qui l’animera.

Mais, dans d’autres, dans ceux que peignent à Versailles MM. Lobre et Picquefeu, personne ne rentrera. C’est leur état normal que d’être inhabités, déserts. Personne ne viendra soulever cette tabatière, orienter ce buste, allumer ces chandelles, se regarder dans cette glace. Ceux mêmes qui s’y refléteront en seront tout étonnés, n’oseront pas s’y mirer, passans obscurs, émerveillés que ces glaces faites pour un tout autre office daignent refléter leur obscure et anonyme image et passeront vite, à peine plus longtemps apparus sur la surface réfléchissante qu’un express le long d’un lac. C’est un signe de notre temps, que ces palais, ces châteaux, ces appartenions, qui