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II

La première difficulté est le renouvellement d’un genre si délimité, de conditions si définies, qu’il ne supporte guère d’innovations que dans sa partie la plus technique : la facture.

La mise en cadre ne peut pas beaucoup varier, ni les proportions entre la figure et les accessoires être beaucoup interverties. Un personnage d’un pied de haut, dans un paysage de quatre ou cinq pieds, peut bien représenter exactement la ressemblance d’une figure contemporaine : ce n’est pas un portrait. C’est une scène de genre dans un paysage, à la façon de Lancret ou de Watteau. Même dans sa propre chambre ou son propre salon, une figure n’est un portrait que si elle y occupe un espace suffisant pour que l’attention ne s’en aille pas de meuble en meuble et de bibelot en bibelot, loin de la maîtresse de la maison. Ainsi les modernistes qui avaient tenté, à la suite de M. Frédéric Bazille ou de M. Whistler, de peindre leur figure au bas d’un paysage, ou de la reléguer en pénitence dans un coin d’une chambre, ont dû, peu à peu, y renoncer et la remettre au milieu du tableau, sous peine de ne plus être considérés comme des portraitistes.

Toute révolution étant proscrite de la mise en cadre, pour-ra-t-il s’en trouver quelqu’une dans l’attitude choisie, dans le geste ou dans l’action de la personne représentée ? Pas davantage. Pour qu’elle appartienne au genre « portrait, » il faut qu’une figure soit immobile. Une Corinne déclamant des vers au cap Misène, une mère ajustant à sa petite fille la toilette du matin, peuvent être des chefs-d’œuvre : ce ne sont pas des portraits. Même une femme qui lit attentivement ou qui fait réellement de la dentelle, comme celle de Vermeer, au Louvre, ou celles de M. Bail, au Salon, ne peut être portraiturée ainsi. Il faut qu’elle s’arrête dans son ouvrage, qu’elle détache les yeux de son livre ou bien qu’elle ne le feuillette plus que machinalement, comme Mme de Pompadour son cahier de musique, dans le pastel de La Tour.

Si la Mme de Motteville de Largillière cueillait des roses avec le soin que la dentellière du Louvre met à houspiller ses navettes et ses bobines, nous ne verrions ni ses yeux ni la moitié de son visage. Et ce défaut de naturel qu’on reproche aux excellens peintres du XVIIe ou du XVIIIe siècle était une qualité ou,