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porter le propagateur, que ce qui convenait à sa manière de penser. En quoi, d’ailleurs, nous serions intellectuellement plus honnête que lui, puisque enfin nous ne nous donnons pas comme positivistes, et qu’en reprenant notre bien, pour ainsi parler, dans l’œuvre d’Auguste Comte, nous n’essayons de faire croire à personne que nous en sommes les continuateurs. Il serait vraiment plaisant que le droit, si c’en est un, de défigurer la physionomie d’un système n’appartînt, qu’à ceux qui commenceraient par s’en constituer les défenseurs ; et plus plaisant encore que, pour ne partager pas toutes les opinions d’un maître, on fût destitué du droit d’en approuver aucune. Heureusement que la vérité scientifique ou philosophique n’a été donnée en propriété ou en monopole à personne, non pas même aux philosophes ni aux Académies, et, puisque aussi bien l’expérience nous apprend qu’elle est souvent mêlée d’erreur, ou, comme les métaux précieux, engagée dans une gangue dont on ne saurait l’isoler que par un traitement énergique, nous avons le droit de le lui appliquer.

C’est une superstition trop commune aujourd’hui que déconsidérer les systèmes philosophiques, — celui de Comte, ou celui de Kant, ou celui de Spinosa, — comme des systèmes clos, dont toutes les parties se tiennent, sont « causantes et causées, » se supposent réciproquement, s’entraînent et se commandent. Ni la logique n’a tant de rigueur, ni la pensée de cohérence. Sans compter que, si quelques systèmes sont nés pour ainsi dire tout entiers, et, d’abord, ont surgi tout armés du cerveau de leur inventeur, la plupart sont au contraire l’œuvre d’une formation successive ou évolutive, et, en parlant d’Auguste Comte, c’est le cas de nous en souvenir. De bons juges ont même soutenu qu’en passant « de la considération des choses inorganiques à celles de l’ordre vital, » Auguste Comte aurait vu « s’ouvrir devant lui une voie toute nouvelle, qui devait le mener à un point de vue entièrement opposé à celui où il s’était placé d’abord, et de son matérialisme géométrique le faire passer par degrés à une sorte de mysticisme. » C’est un peu trop dire, à notre sens, et l’opposition n’est pas si diamétrale. Il faut nous rappeler que le premier Système de Politique positive, en 1824, a précédé le Cours de Philosophie positive, 1830-1842, et qu’en reprenant ce [1]

  1. F. Ravaisson, Philosophie en France au XIXe siècle, p. 74.