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de la Révolution, l’art militaire se réduisait partout à une copie servile des procédés de Frédéric. Cependant la puissance du fusil manié par le tirailleur constituait un facteur qui venait d’apparaître. Frédéric ne l’avait pas utilisé, car, de son temps, le feu comptait pour peu de chose. L’arme blanche décidait. L’armée prussienne, comme l’armée française, voyait dans ses manœuvres le secret de la victoire et n’envisageait aucun changement.

Une élite d’officiers, tels que Bourcet et le baron du Theil, professeur de Bonaparte à Auxonne, préparaient cependant la tactique de la Révolution, qui remplaça celle de Guibert et de Gribeauval. Mais combien fut laborieuse l’évolution ! Les patientes recherches du XVIIIe siècle, faites pour déterminer les conséquences tactiques de l’emploi du feu, seraient probablement restées dans l’ombre longtemps encore sans Napoléon. Son génie en avait saisi l’importance. En face de l’école prussienne, figée dans sa doctrine, il se servit du feu pour aveugler l’adversaire et l’immobiliser pendant le temps nécessaire à la préparation de l’acte décisif : le choc.

Les batailles foudroyantes de l’Empereur ont amené les armées du XIXe siècle à prendre modèle sur ses méthodes, de même que celles de Frédéric avaient été imitées à la fin du XVIIIe siècle.

Mais l’engouement aveugle pour le passé peut conduire aux fautes qui ont précipité l’armée prussienne dans les désastres de 1806. Comme tout ce qui nous entoure, l’art de la guerre est en perpétuelle évolution. Ce n’est pas une science fixe, susceptible d’être complètement étudiée dans le passé. Un génie comme Annibal ou Napoléon donne son empreinte à la science militaire de son époque et la porte au plus haut degré de perfection qu’elle peut alors atteindre. Il montre des exemples admirables des dispositions qui conviennent aux institutions et aux moyens de son temps, rien de plus. Il est donc inutile de vouloir les imiter, aujourd’hui que nos instrumens de guerre diffèrent absolument des siens. L’art de la guerre est simple et tout d’application, a-t-il été dit : l’application ne doit-elle pas être conforme aux moyens dont on dispose et varier avec eux ?

L’histoire militaire montre que les évolutions de cet ordre se réalisent difficilement pendant les périodes de paix, à moins que des indications expérimentales ne viennent mettre en lumière des faits nouveaux. C’est alors une fortune heureuse pour les armées spectatrices du conflit.