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schlepps et des remorqueurs, portant pavillons grec, italien et même français. Aux bouches du fleuve, la commission européenne, dont le sort présent a été réglé, en 1883, par la Conférence de Londres, a canalisé le bras de Sulina et maintient, depuis Galatz, une souveraineté bienfaisante, à l’abri d’un drapeau multicolore. A côté d’elle, une commission restreinte, formée des trois pays intéressés (Autriche, Russie, Roumanie), s’occupe à améliorer la navigabilité du Pruth.

La plaine hongroise et la plaine valaque présentent un aspect presque identique. Ce sont terrains bas et argileux, dans lesquels les cours d’eau se sont creusé des lits capricieux. La nature du sol rend les routes mauvaises ; on voyage, l’hiver dans une boue profonde, l’été dans une lamentable poussière ; L’eau se trouve à quelques pieds du sol, amenée par des puits à balancier, dont les longues poutres, profilées sur l’horizon, forment une des caractéristiques du paysage. Chaque bouquet d’arbres masque un village, allongeant sur la route ses pauvres maisons espacées et gardant l’allure du campement primitif, dont les ancêtres firent un beau jour un établissement durable. La campagne est infinie et monotone ; peut-être est-ce une des régions les moins séduisantes de l’Europe, mais c’est, en revanche, l’une des plus riches. Le blé hongrois se maintient, par sa qualité supérieure, contre les blés russes et américains ; la terre roumaine est si fertile qu’elle continue à produire sans engrais, malgré l’insuffisance des procédés de culture. Cependant, ceux qui sont nés dans un tel pays ou qui en ont pris l’accoutumance en ressentent volontiers le charme ; on finit par se plaire à parcourir, pendant les longs mois de froidure, la grande plaine couverte de neige et peuplée de corbeaux, dont la tristesse est souvent éclairée par un beau soleil, brillant dans un ciel très bleu ; on apprécie la pureté de la lumière, la délicatesse des teintes, même les effets de mirage provoqués par les chaleurs excessives des étés, et l’immense nappe ondoyante, verte, puis dorée, qui s’étend à perte de vue dès le printemps jusqu’à la moisson. Pétœfi a célébré la poésie de la plaine hongroise ; Alecsandri, celle de la plaine roumaine.

Il y a peu de contrées qui aient conservé moins de témoignages de leur passé historique ; l’invasion de l’Islam a été impitoyable. En dehors de la cathédrale de Kassa, préservée par sa situation septentrionale, à peine les Turcs ont-ils épargné