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Pendant des journées entières, comme à Modder-river, le 28 novembre, les troupes anglaises sont restées sous le feu sans rien apercevoir. À cette règle générale d’invisibilité, il y avait pourtant quelques exceptions passagères et rapides, telles que l’apparition d’un chef sur la ligne de feu ou l’arrivée d’un renfort.

Pour donner confiance à ses hommes, le chef avait une tendance à se montrer debout et à braver la mort. Le premier inconvénient de cet acte était de fournir les indications qui manquaient sur la position de l’adversaire. Tout le secteur sur lequel un pareil indice était surpris devenait immédiatement le point de mire d’un tir concentré et perdait le bénéfice de son invisibilité.

On ne peut pas davantage se rendre compte de la force de l’adversaire. A cet égard, les appréciations sont généralement exagérées.

A Colenso, le nombre des Boers a été évalué à 18 000. Depuis, il a été établi que sir Redwers Buller n’avait eu devant lui que 2 500 à 3 000 hommes. Avec la faculté d’accélération de tir que donne l’arme à répétition, un seul homme tirant rapidement peut produire le même effet que dix tireurs effectuant un tir normal, et il est impossible de juger de la différence.

Un fait très important et sur lequel il faut insister s’est manifesté dans tous les combats : c’est l’attirance de l’abri et l’adhérence au sol. Ce sont les deux grands ennemis qui paralysent l’action et affaiblissent le cœur du combattant. Le commandement doit maintenant compter avec eux comme avec des forces de la nature. L’éducation morale de l’homme et l’instruction technique du soldat sont les deux leviers qui permettent de détacher le combattant de l’abri et de le porter en avant. Non seulement il y faut de grands efforts, mais il est également difficile de le reporter en arrière lorsqu’il est très engagé.

Ainsi s’explique le désastre de Spion-kop. A la faveur de la nuit, les Anglais avaient gagné une position soumise sur trois faces à un feu d’artillerie et d’infanterie. Tout le jour, en raison de cette force d’adhérence et malgré des pertes énormes, ils y demeurèrent accrochés. Les survivans ne purent se décider à abandonner les abris illusoires qu’ils s’étaient créés, que lorsque la nuit fut venue.