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cours de Machiavel sur la première Décade de Tite-Live, et que Napoléon emportait dans ses campagnes :

« Le vulgaire se trompe en affirmant que l’or est le nerf de la guerre… Les Grecs ont-ils dompté les Romains, et de nos jours encore le duc Charles a-t-il vaincu les Suisses ? Non. Ils nous ont tous prouvé que le nerf de la guerre n’est pas l’or ; c’est la valeur du soldat. C’est avec le fer et non avec l’or qu’on fait la guerre. Quand on songe à l’œuvre accomplie par les Romains, tout l’or du monde n’y eût pas suffi, s’ils avaient voulu vaincre par l’or et non par le fer. Comme ils combattirent avec le fer, l’or ne leur manqua jamais. Ceux qui les craignaient l’apportaient dans leur camp. L’or ne donne pas les bons soldats ; les bons soldats suffisent bien à trouver l’or.

« Fais la guerre, comme disent les Français, courte et bonne. Les Romains n’entraient jamais en campagne qu’avec de très grosses armées ; aussi ont-ils expédié en très peu de temps toutes leurs guerres contre les Latins, les Samnites, les Toscans. La guerre à peine déclarée, ils s’élançaient avec toutes leurs forces au-devant de l’ennemi, livraient bataille aussitôt et, vainqueurs, imposaient leurs conditions. »

Ne perdons pas de vue ces anciens principes. Rendons-nous compte que les armes actuelles portent à son point culminant le combat de tirailleurs sous une forme nouvelle, où chaque soldat doit agir individuellement dans la plénitude de sa volonté et de son indépendance pour joindre l’ennemi et le détruire.

Le Français fut de tout temps un excellent tirailleur, intelligent, adroit et hardi. Il est naturellement brave. Le ressort est bon, il ne s’agit que de le tremper. Il faut reconnaître qu’à l’époque actuelle, la tâche n’est pas aisée. L’augmentation du bien-être, l’existence dans les villes, des théories internationales qui s’appuient sur cette défaillance, de préférer à la lutte l’esclavage économique et le travail au profit de l’étranger, n’incitent pas à donner sa vie pour sauver celle de ses frères. Une civilisation raffinée, jointe à une intellectualité sceptique qui fait état de mépriser les armes pour se dérober aux devoirs militaires, n’y disposent pas davantage une notable partie des classes cultivées. La Chine a glissé sur cette pente. Aussi, malgré d’énormes armées, pourvues des engins les plus perfectionnés, ne peut-elle résister à une poignée d’Européens. Est-ce donc que le Chinois soit si lâche ? Nullement. Il ne craint pas la mort passive et il