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Je sens votre vigueur, vos baumes et vos foi ces
Entrer en moi,
Et le Dieu qui l’habite entr’ouvre votre écorce
Avec son doigt.

Comme vous, chêne dur, je garde dans la terre
Qui la nourrit
Ma racine secrète, obscure et nécessaire ;
Mais mon esprit,

Au-dessus de mon corps qui pousse son tronc rude,
Balance au vent
Sa ramure déjà que l’automne dénude…
Arbre vivant,

Qu’importe que le temps, ou l’hiver, ou la hache,
Par son milieu,
L’attaque, si déjà sous l’écorce se cache,
En l’homme, un Dieu !


LE CENTAURE BLESSÉ


Le cri qu’il nous arrache est un hennissement
J. M. DE HEREDIA.


Je t’ai vu devant moi surgir. Tu étais beau.
Le soleil au déclin, de la croupe aux sabots,
T’empourprait tout entier de sa splendeur farouche.
Ardent de ta vitesse et cabré de ta course,
Tu dressais, sur le ciel derrière toi sanglant,
Homme et cheval, le double effort de ton élan
Où le poitrail de bête et la poitrine humaine
Respiraient d’un seul souffle et d’une seule haleine.
Alors, dans ce ciel rouge où tu m’es apparu,
Comme un fatal présage, ô Centaure, j’ai cru
Voir monter tout à coup, en un reflet lointain,
La tragique rougeur du fabuleux festin
Où, sous les yeux d’Hercule et de sa blanche Epouse,
Votre troupe avinée et brusquement jalouse