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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/942

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On ne saurait, en effet, souhaiter un ordre plus clair, ni un enchaînement plus rigoureux à la fois et plus significatif que ceux qu’a mis M. Bartels dans les grands « tableaux de l’évolution historique » qui précèdent les notices consacrées par lui aux principaux écrivains des diverses périodes. Pour la première fois, grâce à lui, le mouvement séculaire de la littérature allemande nous apparaît dans sa suite et dans son unité. Pour la première fois, nous comprenons l’importance attachée, aujourd’hui encore, par les critiques allemands, à des écrivains dont les œuvres ne trouvent plus guère de lecteurs, mais n’en continuent pas moins à représenter des étapes décisives de l’évolution littéraire, des événemens d’une portée à jamais mémorable. Et ainsi les maîtres de la littérature allemande, les Klopstock et les Lessing, les Goethe et les Schiller, les Hebbel et les Keller, cessent d’être pour nous des phénomènes isolés, c’est-à-dire forcément incompréhensibles : nous voyons d’où ils sont sortis, ce qu’ils ont pris à leur temps et ce qu’ils y ont ajouté, nous nous rendons compte de leur valeur propre et du rôle qu’ils ont joué.

Peut-être seulement M. Bartels aurait-il mieux fait de supprimer entièrement, ou de réserver pour un autre ouvrage, les notices qu’il a jointes à chacun des chapitres de son intéressant récit. Autant des notices de ce genre sont précieuses et même nécessaires lorsqu’elles ajoutent au récit général une foule de documens et de menus détails biographiques, historiques, ou bibliographiques, ainsi que c’est le cas, par exemple, dans le Manuel d’Histoire de la littérature française de M. Brunetière, dont le plan général se retrouve à peu près exactement dans l’ouvrage de M. Bartels ; autant, dans ce dernier ouvrage, elles risquent de faire double emploi avec le récit qui les précède, faute de contenir autre chose que des appréciations critiques, c’est-à-dire une répétition plus développée de ce que l’on a lu déjà quelques pages plus haut. Parfois même nous avons l’impression que ces notices, loin de compléter notre connaissance des écrivains allemands, ne servent qu’à l’embarrasser et à la troubler, comme si l’auteur, en les écrivant, n’avait plus retrouvé l’élan, la chaleur, la force de pénétration qui lui avaient permis précédemment de dégager, toute vivante, devant nous, la figure des principaux écrivains de son pays, quand il les considérait surtout au point de vue de leur place dans le grand développement de la littérature nationale.


Mais je ne voudrais pas que cette observation parût déprécier le moins du monde l’éminente valeur historique et critique de l’ouvrage