écrites par sa grand’tante. La première date de 1802, la dernière de 1838. Cette volumineuse correspondance embrasse donc trente-six années de la vie de la princesse, la période la plus active de son existence si pleine et si mouvementée, ces temps où elle brilla sur l’une des premières scènes du monde, parmi les hommes d’Etat les plus éminens. Là, nous sommes, en ce qui la concerne, sur des terres à peu près inexplorées. Pour y marcher utilement, pour y découvrir ce qu’elles renferment, il fallait un flambeau. La correspondance de la princesse avec son frère me l’a mis en main.
En 1800, au moment où elle va épouser le comte de Liéven, Dorothée de Benckendorff vient de quitter le couvent de Smolny, institut des demoiselles nobles protégées par l’Impératrice, où elle a été élevée dans la religion luthérienne, celle de sa famille. Elle a quinze ans. Qu’on se figure une toute jeune fille aux cheveux bruns, grande, mince, trop mince même, et qui promet de grandir encore. La poitrine est plate à l’excès, le cou plutôt disgracieux à force d’être long. Mais elle rachète ces imperfections par la grâce du visage et par l’éclat du regard. Ses yeux caressans révèlent la vivacité de son intelligence, l’ardeur de son âme. Dans cette enfant, la femme qu’elle sera plus tard perce déjà, prime-sautière, spontanée, impressionnable au plus haut degré, voire un peu frivole, ce qui est de son âge.
Aussi instruite que le peuvent être les jeunes filles d’un rang social égal au sien, elle parle quatre langues : le russe, le français, l’allemand et l’anglais ; elle les écrit ; c’est le français qu’elle préfère. Elle en use ordinairement dans sa conversation comme dans sa correspondance. Entre tous les arts qu’on lui enseigna, elle n’est guère captivée que par la musique ; et encore, manifeste-t-elle ce goût plus encore comme auditrice que comme exécutante.
Sa mère est morte. Son père lui reste ; elle lui a voué un culte passionné, ainsi qu’à sa sœur Marie et à ses deux frères