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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/163

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On sait qu’au mépris du droit des parens, elle entendait s’occuper seule de les élever. Elle n’aimait pas leur père, soit qu’il lui rappelât trop vivement le mari dont on lui imputait la mort tragique ; soit que, comme la mère d’Hamlet, elle craignît de lire en ses yeux l’accusation véhémente qu’elle le soupçonnait de porter dans son cœur. Elle l’avait relégué loin d’elle. Lui-même eût d’ailleurs refusé de vivre à ses côtés, d’être le témoin de ses désordres. Catherine et son fils semblaient séparés par un abîme. Les griefs, légitimes ou non, que le tsarewitch nourrissait contre sa mère s’étaient encore aggravés quand elle lui avait arraché ses enfans pour les avoir à sa cour et pour façonner à son gré leur esprit et leur âme. Cet outrage à l’autorité paternelle accompli lorsqu’ils étaient encore en bas âge, il avait fallu bientôt songer à leur donner une gouvernante. Le souvenir de l’Impératrice s’était alors porté sur cette « petite Liéven » qui végétait tristement dans sa pauvre maison de Riga.

Un matin, elle y voit entrer le comte de Broron-Camus, gouverneur général de la province. Il est porteur de l’offre que fait à la jeune femme l’Impératrice. Elle l’appelle à sa cour pour y diriger l’éducation des enfans du tsarewitch. Tombée de si haut, une telle offre est presque un ordre. Cependant, la baronne de Liéven y répond en la repoussant. Peut-être connaît-elle les dissentimens qui existent entre la mère et le fils et redoute-t-elle de s’y trouver mêlée ; peut-être aussi, révoltée par tout ce qu’on raconte des mœurs de l’Impératrice, ne veut-elle pas la voir. Elle refuse résolument, sans avouer les causes de son refus. Le négociateur insiste ; il énumère les avantages proposés ; puis, à bout d’argumens, il montre à Mme de Liéven ses deux fils qui courent pieds nus dans la chambre.

— Vous aurez de quoi leur payer des souliers, dit-il.

Elle rougit et, après une brève hésitation, s’écrie :

— Eh bien ! ce sera pour eux que j’essaierai.

D’après une autre version, empruntée aux mêmes sources et qui complète celle-ci sans la démentir, le consentement n’aurait pas été aussi prompt. Elle nous montre Mme de Liéven restant sourde aux objurgations du comte de Broron, ne partant pour Saint-Pétersbourg que sur un ordre formel et décidée à y faire connaître les causes de son refus.

Présentée à l’Impératrice par la comtesse Braniçka, elle tombe à genoux.