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honneur par le prince Kourakin[1]. « Il prouve bien qu’il ne faut pas juger des apparences ; il se découvre qu’il est d’une bêtise rare ; la Bagration s’en est emparée[2]. » Le 11 septembre, ce n’est que détails sur sa vie privée et ses plaisirs qui se succèdent sans interruption. Entre les lignes, on devine le dépit que commence à lui inspirer la solitude où la laisse son mari. « Je continue toujours mes promenades à cheval. Comme je les fais après que mon mari est revenu de chez l’Empereur, nous ne dînons plus qu’à quatre heures, quelquefois plus tard ; c’est aussi l’heure du diner de l’Empereur. Cela ne m’arrange nullement. Aussi, y a-t-il toujours dispute entre nous. Il y a des jours où je ne le vois pas du tout. De fondation, vous savez qu’il y va tous les matins ; il finit quelquefois ses affaires à trois heures ; il y dîne et puis, après dîner, des affaires encore. »

Pour remplir cette solitude et aux heures où elle lui pèse, elle recourt à l’amitié. Elle commence à nouer ici ou là des relations que la mort seule brisera. C’est alors qu’elle se lie avec la princesse Alexandre de Wurtemberg, fille aînée de Paul Ier, durant un séjour que fait celle-ci à la cour de son frère. « C’est une bien intéressante femme. Sans être belle, elle a une physionomie extrêmement douce et gracieuse qui fait qu’on l’aime dès qu’on la voit ; elle est toute charmante. » Le 20 octobre, elle écrit encore : « Macha est venue avec la princesse Alexandre de Wurtemberg passer quelques jours chez moi pour voir partir le ballon aérostatique. Deux jours de suite, l’Empereur, toute sa famille et tout le public de Pétersbourg étaient rassemblés pendant quelques heures et finalement, le ballon n’est point

  1. Frère de celui qui fut ambassadeur à Paris sous Napoléon Ier.
  2. Femme du général Bagration qui commanda les armées russes pendant les campagnes contre la France et fut tué en 1812, à la bataille de Borodino. Après sa mort, sa veuve quitta la Russie et se rendit à Vienne où elle devint l’amie de Metternich. Pendant le Congrès, elle fut l’ornement de toutes les fêtes. Elle était belle et passait pour galante. En 1815, elle parut à Paris. Elle s’y fixa définitivement un peu plus tard et y mourut vers 1855. Elle s’y était remariée, tout en conservant son nom, avec le général anglais Caradoc, qui lui survécut. Elle avait essayé de se poser en rivale diplomatique de la princesse de Liéven. Mais elle n’avait ni son esprit, ni sa fidélité à ses amis. Sa beauté disparue ne pouvait plus lui en tenir lieu, bien que, comme la Jézabel de Racine, elle recourût à mille artifices pour réparer des ans l’irréparable outrage. Sa tentative échoua et après avoir été une des plus jolies femmes de son temps, elle dut se résigner à n’être qu’une ex-jolie femme. C’est, cependant, quoique excentrique, une figure attachante que j’espère remettre un jour en lumière.