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accens mélancoliques ? « Nous vivotons tranquillement et orageusement aussi, si vous voulez, car à la cour, il y a de tout. Heureusement que notre petit individu n’en est pas atteint. Mais, il y a cependant bien des momens où l’on forme le vœu d’en être bien loin. Et pourtant, tel est l’homme et la force de l’habitude et l’habitude des grandeurs qu’il ne se sépare jamais qu’à regret des choses mêmes qui lui sont le plus à charge et le plus désagréables. En vérité, mon cher, j’envie bien de bon cœur votre sort, s’entend si je pouvais le partager avec Bonsi, car sans lui, point de plaisir pour moi. Pétersbourg est d’un morne insupportable. »


III

Telles sont, dans ces premières années de son mariage, les préoccupations et les impressions de Mme de Liéven. Elle les raconte et les traduit avec l’abondance et la spontanéité de sa jeunesse ; elle s’occupe surtout de petites choses parce que dans le cadre limité où est enfermé sa vie, les grandes lui échappent encore. Si son existence est uniforme, elle est facile ; elle ne comporte dans le présent ni lourds devoirs, ni cuisans soucis, et cette jeune femme de dix-sept ans ne saurait prévoir ceux que lui réserve l’avenir ; elle n’y songe même pas.

À ce point de vue, sa correspondance en 1803 ne diffère guère de celle de 1802. C’est toujours de sa part même application à entretenir son frère des menus faits qui se déroulent sous ses yeux, les événemens de la cour, les absences de son mari, les visites qu’elle reçoit, celles qu’elle fait, ses déplacemens, ses projets, les aménagemens de son intérieur. Il y a peu à glaner dans ces notes quasi quotidiennes, où se trahit parfois, avec une absence totale de volonté, l’impatience passagère que causent à Mme de Liéven la monotonie des jours qui se succèdent pareils et l’impossibilité où elle est d’en remplir à son gré toutes les heures.

Cette impatience apparaît jusque dans la satisfaction qu’elle éprouve au mois de mars en annonçant à son frère qu’elle va voyager « et courir le monde seule. » — « Ne vous en scandalisez pas trop cependant. » Si son mari la quitte comme l’année précédente, ce qui n’est que trop probable et sans doute pour plus longtemps, elle ne retournera pas à Paulowsky où, durant son