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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/187

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pourra danser sans elle, cela lui est bien égal. Elle ne ment pas lorsqu’en parlant à son frère des fêtes auxquelles vont donner lieu les fiançailles de la grande-duchesse Marie, — dîner de trois cents personnes et bal paré dans la salle Saint-Georges, « le premier qui ait eu lieu depuis ce règne » — elle ajoute : « Je passerai tout cela dans ma chambre et j’en ai peu de regrets. »

D’ailleurs, comme elle a la mobilité de son âge, ces velléités de retraite durent peu. Au commencement de 1804, la cour étant en grand train de plaisirs, elle a recommencé à y prendre part : « Je suis de tout cela, ne vous en déplaise, malgré ma taille assez disgracieuse. Au reste, qu’importe la façon, pourvu qu’on s’amuse. » Elle met à s’amuser d’autant plus d’entrain que le moment approche où elle devra se condamner à la réclusion. Et puis, tout est à cette heure pour lui faire savourer la joie de vivre. Les faveurs pleuvent sur sa famille. Sa belle-mère vient d’être pourvue d’une belle starostie en Pologne. À ce don de l’Empereur, l’Impératrice a ajouté des diamans. Son père qu’elle attend sous peu de jours est nommé conseiller privé. Son frère Alexandre qui fait campagne en Géorgie, signalé pour sa belle conduite devant l’ennemi, a reçu le prix de sa vaillance : le grade de lieutenant et l’épée de Sainte-Anne. L’Empereur l’a admis au nombre de ses aides de camp. Constantin est nommé secrétaire d’ambassade à Berlin. Enfin, elle espère un fils. « Je suis bien impatiente de pouvoir vous annoncer l’arrivée d’un petit neveu. Je vous assure que je ne puis pas attendre ce moment. C’est sûrement papa qui vous l’apprendra le premier. Je voudrais seulement avoir une adresse sûre pour que vous en soyez informé plus tôt, parce que votre amitié m’assure de la part que vous prendrez à cet événement. » — « D’ici à trois semaines, j’espère pouvoir vous marquer ma délivrance. Je suis bien impatiente que tout soit fini et heureusement fini. Je redoute un peu ce moment. »

Entre temps, elle ne se lasse pas de bourrer de nouvelles sa correspondance. Elle y parle notamment de quelques-uns des émigrés français qui ont pris du service en Russie. « Le comte de Saint-Priest le cadet épouse la princesse Galitzin surnommée Patriarche ; le comte de Langeron, une veuve Kachintzoff, assez jolie et très riche. Girard se marie à la fille de Dehmouth, l’aubergiste, qui a un bien immense. Tous ces messieurs ne font pas mal leurs affaires. »