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se pourrait que ce fût Voltaire ! Et, puisque je le nomme, il y a plus d’« invention, » au même sens, dans sa Zaïre, dans son Alzire, dans son Tancrède, que dans le théâtre tout entier de Racine. Oui, voilà des sujets « inventés » ou « fabriqués » de toutes pièces ! On ne s’est cependant pas avisé jusqu’ici de mettre Tancrède, ni Zaïre, au-dessus d’Andromaque ou de Bajazet. Mais je crains fort que l’on n’y vienne ! Et on y viendra si l’on continue de s’aveugler, à force d’érudition, sur la différence qui sépare le style de Voltaire de celui de Racine, ou la personnalité de Corneille de celle de Rotrou. Ce serait un étrange résultat des études de « littérature comparée ! » Ou plutôt, et dès à présent, c’est un regrettable effet de ces méthodes qui, dans l’analyse de l’œuvre d’art, tiennent compte aujourd’hui de tout, excepté de sa valeur d’art. Dans un « original » espagnol, d’Alarcon ou de Lope de Vega, quand on a reconnu la source d’une tragédie de Corneille, et confrontant alors, acte par acte, ou scène par scène, l’original et la « copie, » quand on a soigneusement, scrupuleusement, scientifiquement noté les points de contact et de différence, les retranchemens et les additions, les modifications ou les changemens, on croit avoir traité la question des rapports du théâtre de Corneille avec le théâtre espagnol. Mais ce ne sont là que des matériaux. Il s’agit de les mettre en œuvre. Et c’est ici que, la considération du style dominant toutes les autres, on ne commet pas seulement un oubli, si l’on omet d’en tenir compte, mais on passe à côté de la question qu’on prétendait traiter.

Car, le « style, » en littérature comme en art, de quelque façon qu’on le définisse, étant ce qui seul achève les œuvres, est aussi ce qui les distingue, ce qui les juge, et ce qui les classe. Sans doute, il ne faut pas le confondre, — en dépit des grammairiens, et même de quelques professeurs, — avec l’art d’écrire correctement ou élégamment, tel qu’il s’enseigne en « vingt leçons. » Il ne faut pas non plus le réduire à quelques-unes de ses qualités, qui peuvent bien être quelquefois, mais qui ne sont pas toujours ni nécessairement les siennes : il y a précisément autant de styles qu’il y a de sortes ou de genres d’écrire, et peut-être autant que de grands écrivains ou d’écrivains originaux. Et il ne faut pas croire enfin que, les grands écrivains ayant fixé pour ainsi dire le modèle éternel du style, on écrirait bien ou mal à proportion que l’on se rapprocherait de ce modèle, ou qu’au contraire