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auxquels nous ne pouvons souscrire, et au contraire, nous répondrons, en nous autorisant des observations que nous venons de faire sur le « style, » qu’il n’y a rien de plus « français, » — ni de plus contemporain de la société du temps de Louis XIII et de Richelieu, — que les comédies de la jeunesse de Corneille, à moins que ce ne soient son Menteur ou son Cinna, son Polyeucte ou sa Rodogune.

Mais il y a mieux encore, et on pourrait prouver qu’aucun poète plus que Corneille ne s’est inspiré de l’actualité ; n’y a plus habilement ou plus ingénieusement conformé le choix de ses sujets ; n’a fait dans ses tragédies la part ou la place plus large, plus complaisante, à ces allusions par le moyen desquelles un auteur dramatique rattache aux préoccupations de l’heure présente les motifs de drame qu’il emprunte à la légende ou à l’histoire. C’est ce que M. G. Lanson a très bien montré naguère, — dans le Corneille qu’il a écrit pour la collection des Grands écrivains français, — et nos lecteurs se rappelleront peut-être combien cette ressemblance de la tragédie de Corneille avec les mœurs du temps de la Fronde a frappé Mme Arvède Barine, dans les études qu’elle a consacrées à la Grande Mademoiselle. A vrai dire, dans le personnage de Chimène ou dans celui de l’Emilie de Cinna, de la Cléopâtre de Pompée, de la Pauline de Polyeucte, ce ne sont ni des Romaines qui revivent, ou la reine d’Egypte, et bien moins encore des Espagnoles, mais des Françaises du temps de la Fronde et de l’hôtel de Rambouillet, avec leurs sentimens et avec leur langage, avec leur goût de la galanterie, de la politique et de l’intrigue, avec la complication de leurs desseins et la virilité de leurs résolutions. « Emilie, nous dit M. Huszär, parle la même langue que les héroïnes de Calderon ; le vigoureux langage dans lequel elle sait rendre plausible la justification de sa vengeance contribue à mieux faire ressortir ce qu’il y a d’essentiellement espagnol en elle. » Mais ce « vigoureux langage » ne fait pas moins ressortir ce qu’il y a de traits communs entre elle, et une duchesse de Chevreuse, par exemple, ou une Mme de Longueville. Et, de ces aristocratiques aventurières, de l’espèce de la sœur de Condé ou de l’amie de Chalais, combien en trouverait-on dans l’Espagne de Philippe III et de Calderon ?

Si donc les critiques français, en général, trop préoccupés d’insister sur le caractère d’universalité de la tragédie de Corneille,