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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/22

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desséchés ; des squelettes de banians, avec leurs gerbes de racines retombant du haut des branches comme de longues chevelures. Et nous sommes ressortis par d’autres portes doubles, aussi inutiles, et d’un appareil aussi féroce.

Dans l’Est, des plateaux rocheux s’étendaient à l’horizon, et il a fallu y monter par des lacets, mettre pied à terre et marcher derrière la charrette paresseuse. C’était l’heure du soleil couchant, l’heure de l’inaltérable splendeur rouge, en ce pays qui va mourir faute de nuages ; Dalantabad, la farouche ville-montagne, avec ses tours, avec ses amas de remparts et de temples, semblait s’élever en même temps que nous et se profilait en plein ciel, dans un rayonnement d’apothéose, tandis que se déployait toujours davantage la muette immensité des plaines rousses, comme incendiées, où rien n’indiquait plus la vie.

Sur les plateaux, un autre groupement de ruines nous attendait encore, Rozas, ville très musulmane, ville de mosquées à l’abandon et de frêles minarets fuselés. Quantité de coupoles funéraires encombraient les abords de ses grands remparts, qui nous sont apparus au crépuscule. Le long de ses rues mortes, où il faisait déjà presque nuit, quelques personnages à turban étaient assis sur des pierres : derniers habitans obstinés, vieillards retenus entre ses murs par la sainteté des mosquées.

Ensuite, pendant une heure environ, plus rien que la monotonie des roches, et l’étendue brune, dans le grand silence du soir...

Et tout à coup, une chose si surprenante et si impossible, que c’en était presque à avoir peur, dans la première minute, avant d’avoir compris. La mer ! La mer devant soi, alors que l’on savait être au Nizam, dans la partie centrale de l’Inde ! Une coupée à pic dans le sol des plateaux, et l’infini mouvant était là, déployé de toutes parts : nous le dominions du haut d’une immense falaise, au bord de laquelle notre chemin passait, et en même temps, une brise puissante nous arrivait d’en bas, une brise moins chaude, telle une brise du large...

Mais ce n’étaient que les plaines au delà, les plaines brûlées, émiettées, sur lesquelles le vent promenait des ondes de poussière ou de sable, et formait comme des embruns et des lames.

D’ailleurs, nous touchions au but : les grottes[1], que cependant

  1. Les grottes d’Ellora.