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REVUE SCIENTIFIQUE

LA MUTILATION SPONTANÉE CHEZ LES ANIMAUX

On a dit, — et un poète célèbre s’est fait l’écho de cette légende, — que le renard pris au piège rongeait son pied captif et brisait lui-même sa chaîne vivante. C’est aussi une opinion très répandue que d’autres animaux sont capables du même stoïcisme, et que le rat, en particulier, lorsqu’il est pris par une patte, n’hésite pas à la couper de ses propres dents et parvient, par ce moyen, à reconquérir sa liberté. Ces histoires n’ont pas une authenticité suffisante pour mériter une complète créance. Il n’est pas douteux, à la vérité, que des bêtes prisonnières réussissent quelquefois à se dégager de leurs entraves et à s’évader en abandonnant à l’instrument de supplice un membre plus ou moins mutilé. Mais peut-on affirmer que ce soit là une amputation volontaire ? Est-ce vraiment l’effet d’un calcul, à la fois héroïque et intelligent, qui décide le sacrifice d’une partie pour assurer le salut du tout, et qui règle les moyens d’exécution ? Il y a bien des raisons d’en douter. D’ordinaire, la mutilation n’est pas le fait de l’animal : elle est l’effet de la cause vulnérante et de la mortification des tissus qui en résulte. Ce sont les mâchoires du piège qui ont broyé le membre et l’ont réduit à l’état de chose morte qui se sépare à la suite des efforts exercés en vue de la fuite. La mutilation volontaire, accomplie sur soi-même dans un dessein déterminé, reste le propre de l’homme et témoigne, suivant les cas, d’une sagesse ou d’une aberration également stoïques[1].

  1. Il y a des animaux qui, maintenus en captivité, prennent l’habitude de ronger quelque partie de leur corps. Le fait a été observé sur des singes de ménagerie. Une sauterelle de vigne, l’Ephippigera, dans les mêmes circonstances dévore ses pattes de devant. Maria von Linden, en 1893, a fait connaître des larves de Phryganes qui agissent de même.