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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/230

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II

Le fait de l’amputation spontanée des pattes chez les crustacés et de leur régénération ultérieure avait été aperçu par Réaumur au commencement du XVIIIe siècle. Dans un curieux mémoire présenté en 1712 à l’Académie des Sciences « sur les diverses reproductions qui se font dans les écrevisses, les homards, les crabes, » le célèbre naturaliste rapporte une expérience caractéristique à cet égard. « Je pris, dit-il, plusieurs écrevisses auxquelles je coupai une jambe. Je les renfermai dans un de ces bateaux couverts que les pêcheurs nomment Boutiques, où ils conservent le poisson en vie... Au bout de quelques mois, je vis, et ce ne fut pas sans surprise, quelque lieu que j’eusse de l’attendre, — je vis, dis-je, de nouvelles jambes qui occupaient la place des anciennes que je leur avais enlevées. » Et l’auteur ajoute une réflexion, une sorte de moralité, dans le goût du temps : « Une pareille source de reproduction n’excite guère moins notre envie que notre admiration. Si, en la place d’une jambe ou d’un bras perdu, il nous en renaissait un autre, on embrasserait plus volontiers la profession des armes. »

Ceci est pour la régénération. Voici maintenant ce qui concerne l’amputation spontanée : « C’est lorsque l’on coupe la jambe près de la quatrième jointure qu’elle se reproduit le plus aisément. Et, ce qui est digne de remarque, c’est que c’est aussi là que les jambes se cassent naturellement... Si l’on va considérer, quelques jours après, les écrevisses dont on a coupé une jambe à la première, à la seconde, ou à la troisième jointure, on trouvera, pour l’ordinaire, et peut-être avec quelque étonnement, que les jambes que l’on avait coupées sont toutes cassées dans la suture qui est proche de la quatrième ; comme si les écrevisses, instruites que leurs jambes reviennent plus vite lorsqu’elles sont cassées en cet endroit qu’ailleurs avaient eu la prudence de se les y rompre. »

L’observation est parfaitement exacte de tous points. Lorsque l’on coupe l’extrémité d’une patte, elle se détache toujours au même endroit, au niveau de l’article qui est le second en comptant à partir de l’attache du membre au tronc et qui est le quatrième, en effet, si l’on compte les articles à partir de l’extrémité, comme faisait Réaumur. Chez l’écrevisse, comme chez le homard, d’ailleurs, c’est la patte de la première paire, la pince, qui se rompt le plus facilement. Et cette rupture, pour la pince, ne se fait pas dans l’intervalle de deux articles,