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le type espagnol, s’est exaspéré le mal espagnol ; là s’est développée jusqu’à l’état aigu l’espèce d’« ingouvernabilité » de la race que les ambassadeurs florentins relevaient déjà à la charge des Espagnols du XVIe siècle. Le Venezuela, pour sa part, n’a eu garde de manquer à ces traditions, par lesquelles, s’en étant séparée par tout le reste, l’Amérique du Sud se rattache à la mère patrie ; et, si l’on en croit le compte qu’en a fait le propre ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, lord Lansdowne, il en serait, depuis soixante-dix ans, à sa cent quatrième révolution : à peu près une et demie par an.

Ce qui est sûr, c’est que l’année qui finit en a vu deux, ou, sinon deux révolutions distinctes, au moins une révolution en deux temps et comme en deux actes. Un ancien ministre des Finances, M. Matos, transformé subitement en « général » Matos, a levé contre le président Cipriano Castro,


Juste retour. Monsieur, des choses d’ici-bas,


ce même étendard de la révolte qu’accourant jadis de ses montagnes des Andes, le général Castro avait levé contre le président Andrade. A son tour, il a enrôlé et entraîné contre le tyran une « armée libératrice ; » — les armées révolutionnaires sont toujours, tant que durent les révolutions, des armées libératrices ; ce n’est que plus tard que l’on s’aperçoit qu’une autre armée et une autre révolution sont nécessaires pour se libérer du libérateur. Après mille vicissitudes, que seul un Hurtado de Mendoza serait digne de raconter : — guerra larga de varias sucesos, tomas y desolaciones de ciudades populosas, — tantôt battant, tantôt battu, longtemps menacé, puis soudain victorieux, au bout de plusieurs mois de lutte, le président Castro paraissait avoir triomphé de ses adversaires, et il rentrait dans sa bonne ville de Caracas, au son tonnant et carillonnant du canon et des cloches.

Il est vrai que ces cloches, le clergé s’était refusé à les sonner, et que le Président avait dû y faire pourvoir par sa police ; ce qui n’était pas un excellent signe. Cependant, la discorde s’était mise au camp des conjurés ; la révolution elle-même s’était divisée. A la suite d’une querelle entre le général Matos et l’un de ses principaux lieutenans, le général Rolando, on annonçait que le général Matos s’était retiré, mais non sans avoir passé ses pouvoirs au général Hernandez, l’Estropié, et Mocho, ainsi nommé ou surnommé à cause d’une blessure qu’il avait reçue au bras dans une précédente campagne.

Quoi qu’il en fût, les télégrammes officiels devenaient ou redevenaient dithyrambiques : maintenant qu’il s’estimait consolidé, le président