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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/252

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jeunes princesses défuntes, avaient reçu ces frêles cadeaux, les avaient enfermés avec tant de sollicitude, et, en s’en allant, les ont laissés là ?...

Dans la grande île, où nous abordons ensuite, les palais, construits par un glorieux souverain, ont environ trois siècles ; ils sont plus vastes et somptueux, mais aussi plus délabrés. Le monumental escalier de débarquement, aux marches blanches à demi plongées dans l’eau, est orné de grands éléphans de pierre qui semblent s’être alignés au bord du lac pour regarder les barques venir. Les jardins de mélancolie sont cloîtrés comme dans l’îlot voisin, mais entre des murailles plus ouvragées, entre de plus patientes mosaïques ; on y retrouve le palmier à grandes palmes du Sud, qui ne croît plus ici à l’état sauvage, mais reste un arbre de luxe autour des habitations de princes ; et l’air y est délicieusement embaumé par des bosquets d’orangers dont les pétales s’épandent sur le sol, sur les feuilles mortes, comme une couche de givre. Quand nous pénétrons là, il est déjà tard, le soleil est très descendu derrière ces montagnes si hautes et si abruptes qui font sur le lac tomber le crépuscule avant l’heure. C’est l’instant du coucher des perruches : elles ont élu domicile sur les branches de ces orangers jalousement enfermés ; on les voit arriver du bois charmant par bandes, par petits nuages verts, — bien plus verts que les feuilles languissantes, car, même ici au bord de l’eau, tout commence à jaunir, sans parler de la teinte hivernale qu’ont prise les forêts d’alentour. Et le vent de sécheresse et de famine souffle de plus en plus fort, augmentant l’inquiétude triste du soir, dans cette île, dans ces ruines...


IX. — LA BELLE VILLE DE CAMAÏEU ROSE

Cent lieues plus loin vers le Nord. Depuis Odeypoure, les déserts succédaient aux déserts. La terre semblait maudite[1].

  1. Pendant son séjour aux Indes, M. Pierre Loti, ému de la détresse des populations radjpoutes, avait envoyé directement, de Jeypore, au Figaro, ses impressions sur la famine, dans l’espoir de réveiller la pitié publique et de provoquer des secours. Son article d’alors avait été reproduit dans plusieurs journaux, surtout en Angleterre ; cependant il nous a paru si fâcheux de tronquer l’ensemble de l’œuvre, que nous n’avons pas hésité à réimprimer ces quelques pages. En faveur de l’intention charitable, nos lecteurs pardonneront sans doute à M. Pierre Loti, et, au nom de leur intérêt même, à la rédaction de la Revue.