Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’heure sainte du Moghreb, s’orientent à présent vers la Mecque et se prosternent pour la prière du soir.

En même temps, un bruit caverneux monte soudain jusqu’à moi, d’en bas, du sanctuaire ensanglanté : c’est aussi l’heure de la prière brahmanique, et le tamtam prélude, le tamtam de la déesse-gnome au manteau rouge.

Il prélude à grands coups sourds, et c’était le signal attendu pour une orgie de sons féroces ; des musettes gémissantes le suivent aussitôt, et des cymbales de fer, et une trompe, qui beugle tout le temps sur deux notes, en appel lugubre indéfiniment répété ; cela m’arrive comme de dessous terre ; cela s’enfle et se défigure en traversant, pour s’élever jusqu’aux terrasses, tant de salles superposées, qui sont vides et sonores. Et tout à coup, du haut de l’air, répond un carillon de cloches ; c’est un petit temple de Çiva qui sonne ainsi à pleine volée ; il est perché là-bas sur une des cimes coupantes qui m’entourent ; il est adossé à cette muraille aérienne dont les créneaux se profilent maintenant comme les dents d’un peigne noir, sur le jaune du ciel pâlissant.

Je ne prévoyais pas tant de bruit dans ces ruines ; mais, aux Indes, la désuétude des villes, le délabrement des sanctuaires n’arrêtent point le cours des rites sacrés : les dieux continuent d’être servis, même au milieu des régions les plus délaissées...

Depuis quelques minutes, je levais la tête vers le petit temple carillonnant. Et lorsque je jette ensuite les yeux à terre, je frémis presque en y reconnaissant mon ombre, très nette, très subitement dessinée ; d’instinct, je me retourne, comme pour voir si on ne vient pas d’allumer derrière moi, en surprise, quelque lampe de clarté étrange, ou si quelque projecteur électrique ne m’envoie pas ses rayons blêmes. — Mais non, c’est la grande lune ronde, la lune des audiences royales, que j’avais oubliée et qui déjà, sans transition, commence de remplir son office, tant le jour a vite fait de mourir, en ces climats. D’autres ombres, des ombres immobiles de choses, se sont au même moment précisées partout, alternant avec des lueurs spectrales. La lune, sur la terrasse des audiences lunaires, épand sa majesté blanche...

Je descendrai quand aura cessé la musique sauvage ; elle me gêne, cette musique-là, pour traverser seul à cette heure tant d’escaliers étroits, tant de couloirs, tant de salles dans ce