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pas au travail tous les hommes, après qu’ils ont traversé pendant quelques générations la richesse, comme une région fortunée vers laquelle ils aspirent tous et où ils se perdent ? » Quand ce n’est pas un soldat, c’est un laboureur, un artisan qui ont été les aïeux des plus illustres familles.

D’un autre côté, il ne pouvait sans s’émouvoir constater à quel point, depuis des siècles, sur le sol de notre patrie, le travailleur a été trompé par les vaines promesses des meneurs et des utopistes ; comment, après tant de révolutions censément faites pour lui et qui tournent toujours contre lui, il demeure en définitive, selon l’énergique expression populaire, un homme de peine. Mais était-ce une raison pour séparer sa condition de celle des autres classes sociales, comme si les gains et les pertes, les risques et les périls, les progrès et les défauts de tous les membres d’une nation ne se mêlaient pas, ne se correspondaient pas ? Rien ne semblait plus dangereux à Cochin que d’opposer sans cesse les intérêts et les droits des ouvriers à ceux des autres citoyens. Il y voyait autant de provocations à la division, à la haine, et une façon de refaire par en bas la classe des privilégiés. Ce n’était pas, bien entendu, qu’il se refusât à admettre l’existence de maux spéciaux, inhérens à l’organisation nouvelle de l’industrie dans la société contemporaine, tels que l’isolement moral de l’ouvrier, les agglomérations factices, loin de la saine vie des champs, la destruction du foyer, l’instabilité, le paupérisme ; mais il comprenait que, si ces maux particuliers appellent des remèdes particuliers, cependant il existe au-dessus de tout le reste une vie générale de la société, à laquelle tous ses membres participent, en sorte que les progrès de la condition ouvrière dépendent premièrement des progrès communs de la société prise dans son ensemble.

Décidé à se garder de la théorie pure, Cochin se mit de bonne heure en contact direct avec les ouvriers. D’une initiative hardie, il fonde pour eux, dès l’âge de dix-neuf ans, dans le faubourg Saint-Jacques, une société de secours mutuels dont il reste président jusqu’à sa mort. Sa porte leur est toujours ouverte ; il se fait leur conseiller ; il les aide à résoudre leurs difficultés et même à placer leurs économies. Mais il s’impose aussi le devoir d’étudier très méthodiquement tout ce qui se rattache à leur existence : salaire, habitation, nourriture, vêtement. Il ne faut pas oublier que ce fut lui qui, à l’Exposition de 1855, organisa