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rôle de l’effort collectif, c’est-à-dire de l’association, est immense, sans doute, et nécessaire ; mais l’association elle-même repose sur l’effort particulier, elle ne vaut que par ceux qui la composent et la dirigent. Elle n’est qu’un instrument ; c’est toujours à l’individu qu’il appartient de s’en servir. Tout dépendra donc de la formation intellectuelle et morale de l’ouvrier, c’est-à-dire de la bonne organisation de la famille, de l’éducation. C’est à cette conclusion que Cochin est sans cesse ramené.

Il croyait à l’avenir de l’association libre, non obligatoire, et elle lui semblait, — à condition bien entendu, de ne pas devenir un instrument politique, un organe de combat, — destinée à transformer, en partie, le prolétariat, notamment en supprimant les intermédiaires, au moins dans les grandes villes. Mais il ne considérait pas le salariat lui-même comme un obstacle à l’ascension pacifique du prolétariat vers la propriété industrielle ou commerciale, et assez d’exemples lui donnaient raison : 80 pour 100 des patrons ont commencé par être ouvriers. Peut-être même Cochin se serait-il mis en garde contre certain engouement qui s’est emparé aujourd’hui des esprits, et qui fait que l’on attribue à la mutualité le secret de toutes les solutions, et comme une vertu magique, perdant trop facilement de vue que tout réside dans la valeur des sociétaires.

A l’époque où vivait Cochin, le mot de patronage ne sonnait pas aussi mal qu’aujourd’hui à l’oreille d’une démocratie ombrageuse. Des incitations de toutes sortes n’avaient pas encore amené l’ouvrier à prendre, dans certaines régions, le patron en méfiance ; mais on commençait déjà à dire que l’ouvrier, plus instruit, plus éclairé, ayant part à la souveraineté publique par le droit de vote, avait de moins en moins besoin de tutelle et que l’émancipation politique devait avoir pour corollaire l’émancipation économique. Dans l’opinion de Cochin, le rôle du patron n’avait, malgré tout, rien perdu de son utilité. Il estimait que, là où le patron est non pas hostile, mais seulement indifférent, l’amélioration sérieuse du sort des ouvriers est rendue très difficile ; que les lois qui leur sont le plus favorables peuvent être compromises dans l’application quotidienne ; que la contrainte est insuffisante ; que le bon vouloir est nécessaire. Et l’on ne devait pas oublier, selon lui, que, sur bien des points du pays, les patrons ont pris l’initiative de presque toutes les réformes qui constituent l’inventaire de l’économie sociale ; que tous les