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dans un indescriptible enthousiasme. Le plus souvent, il improvisait, possédant cette faculté si peu commune, non pas de réunir rapidement quelques lieux communs, des phrases banales et déclamatoires, mais de rencontrer soudainement et d’exprimer des idées, neuves, profondes, justes, dans un langage choisi, avec un à-propos surprenant, et en restant toujours maître de sa parole.

Il serait étrange qu’un homme doué à ce point n’ait pas eu l’intelligence des arts. Combien sont restés gravés dans ma mémoire certains entretiens sur les grandes œuvres des maîtres, que nous avions au sortir des concerts du Conservatoire à Paris, et que j’aurais voulu prolonger indéfiniment ! Les beautés de la peinture ne lui étaient pas davantage fermées. Dans le cours de ses voyages, en Italie surtout, il a étonné plus d’une fois ses compagnons par sa connaissance approfondie des diverses écoles, par la sûreté de ses jugemens sur la valeur comparative des maîtres, sur les influences qui modifièrent leur génie. Tel chef-d’œuvre de Raphaël, longuement contemplé au musée du Vatican, ou, à Florence, tel Primitif, lui ont inspiré des appréciations que n’eût pas désavouées le plus expérimenté et le plus délicat critique d’art.

Cependant, tous ces dons, mis au service des plus nobles causes, devaient être encore fortifiés et fécondés par les influences extraordinairement précieuses de son foyer et de ses amitiés. Je voudrais pouvoir raconter ici, — et ce serait le plus délicat, le plus attachant des poèmes, — ses fiançailles avec sa cousine Mlle Benoist d’Azy, la vie de famille au château d’Azy, cet intérieur si doux, si respecté, tout imprégné de foi. Depuis la mort de son père, son oncle M. Benoist d’Azy, qui fut vice-président de l’Assemblée nationale, avait été son conseil, son meilleur appui. Cochin avait trouvé à son foyer un peu de cette tendresse qui avait fait défaut au douloureux isolement de son enfance et de sa jeunesse : il n’avait pas connu sa mère, qui, jeune et belle, était morte en le sauvant d’une angine. L’amour était entré dans son cœur sans qu’il s’en doutât. Il avait cédé à l’attrait que lui inspirait une compagne digne de lui. Tous ceux qui ont eu l’honneur d’approcher Mme Cochin savent quels dons incomparables étaient réunis en elle, et comprendront que, dans son testament daté de 1870, Cochin ait pu dire « qu’elle avait mérité tous les jours, à toute heure, son ardente