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P. Gratry, par ce cœur d’enfant, d’artiste et de prêtre, par ce grand semeur de désirs, d’idées, par ce missionnaire de la paix ? Comment ne se fût-il pas laissé emporter en haut par ses coups d’ailes, et rapprocher de la lumière de Dieu ? Et quelle tendresse dans son attachement pour l’abbé Perreyve dont Ozanam avait formé l’adolescence, et Lacordaire inspiré la jeunesse, pour ce prêtre jeune et imposant, attrayant et austère, virginal et viril, amoureux de tout ce qui était bon, saint, généreux !

Ah ! les grands croyans, si courageux, si délicats, si fiers et si humbles, si épris de liberté et d’honneur, inébranlables dans leur foi, et en même temps ouverts à tous les souffles de progrès, pitoyables à toutes les souffrances, adversaires de toutes les injustices, défenseurs intrépides des faibles ! A quelque parti, à quelque religion que l’on appartienne, il les faut saluer. Ce sont de telles âmes qui font l’air pur autour de nos demeures. Je m’estime heureux, pour ma part, d’en avoir approché, connu, aimé quelques-unes. Elles m’ont vraiment révélé ce qu’est sur terre la beauté morale, et elles ont donné une forme visible à l’idéal dont j’aurais voulu inspirer ma vie.


V

Le charme d’un commerce assidu avec des amitiés si rares, et, par-dessus tout, les joies de son foyer atténuèrent singulièrement et même eurent bien vite effacé l’amertume qu’avait pu laisser à Cochin, en 1869, l’échec d’une campagne électorale à laquelle le succès semblait promis. Ces joies du foyer étaient dans leur plein épanouissement. Cochin en jouissait et en faisait jouir ceux qui l’entouraient, quand vinrent le frapper, coup sur coup, la mort de Montalembert, — vide irréparable, — et, bien peu de temps après, les terribles événemens du mois de juillet 1870. Ce fut Léopold de Gaillard, alors directeur politique du Correspondant, qui lui porta à sa campagne, près de Corbeil, l’annonce de la défaite de Reichshoffen. « Je le vois encore, a écrit Léopold de Gaillard, essayant de lire tout haut la fatale dépêche et ne pouvant l’achever, tant son émotion était profonde. » Quelques jours après, son fils aîné, âgé de moins de dix-neuf ans, obtenait de ses parens l’autorisation de s’engager. Il fit cette rude campagne comme porte-fanion du général Bourbaki.

Cependant les désastres se succédaient, et la Révolution éclatait