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créature, qu’il remédie aux conséquences de l’abus de la liberté, qu’il aide l’homme à satisfaire à la justice ? Est-il déraisonnable qu’il ait voulu s’unir plus étroitement à la créature ? Dieu déjà est présent dans chaque âme, et sa lumière est le fond de la raison ; on ne s’explique pas comment, il est vrai ; mais s’explique-t-on la vie ? s’explique-t-on la mort ? Et les nie-t-on pour cela ? Est-il déraisonnable que Dieu assiste l’homme en renouvelant son union avec lui sous une forme sensible, plus mystérieuse encore, dans une union, en quelque sorte, organique et substantielle ? Est-il déraisonnable que le Christ ait voulu confier la dispensation de cette force nouvelle, la garde de sa parole à une institution permanente, créée par lui ? Or, voilà tout le christianisme.

Rien ne pouvait être plus vain au regard d’un esprit aussi pratique que celui de Cochin, que la prétention de retenir le christianisme, de le conserver vivant, de sauvegarder l’efficacité de son action, en faisant de son fondateur une sorte de fantôme impalpable et crépusculaire, trop parfait pour être homme, pas assez pour être Dieu ; en fait, dépourvu de toute réalité. Dans ce christianisme intérieur dont chacun serait le prêtre, il ne voyait que l’effort d’une imagination pieuse, d’une représentation fantaisiste, et qui ne répondrait qu’à un seul côté de la nature humaine, le côté sensible ; tandis que la religion véritable doit correspondre à l’homme tout entier : intelligence, volonté, sensibilité. Insuffisante même pour une élite, une telle doctrine ne pourrait être que sans action sur la multitude ; elle ne laisserait plus subsister de société religieuse. Et, enfin, qu’est-ce qui atteste la nécessité de ce christianisme nouveau et l’impuissance de l’ancienne doctrine ? Ce Christ, tel que nous le montre l’histoire, tel que l’ont connu et adoré tant de siècles, qu’est-ce qui nous prouve que l’humanité s’en détourne et que l’écho de sa voix aille s’affaiblissant ? Inspire-t-il moins d’amour ? inspire-t-il moins de haine ? Par la violence des assauts dont son enseignement reste l’objet, on peut juger si sa doctrine est une doctrine vieillie et prête à disparaître ; par les prodiges d’abnégation et de dévouement qu’elle ne cesse d’inspirer, on peut juger si, après deux mille ans, elle a rien perdu de sa puissance.

C’est ainsi que Cochin, au cours de ce livre, est ramené sans cesse vers le Christ, comme l’était Pascal. Comme Pascal, il voit le Christ annoncé par un peuple, espéré par tous, réalisant les