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Lucien, Carnot, et vraisemblablement aussi Regnaud, lui en firent la remarque ; ils l’engagèrent avec instances à n’abdiquer qu’en faveur du Prince impérial. Quelqu’un ayant dit qu’il fallait écarter les Bourbons, l’Empereur s’écria : « — Les Bourbons :... Eh bien ! ceux-là du moins ne seront pas sous la férule autrichienne. » Il céda cependant et fit ajouter ces mots : « Je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des Français. Les princes Joseph et Lucien et les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L’intérêt que je porte à mon fils m’engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la régence par une loi. » Sur l’observation du duc de Bassano, que la participation de Joseph et de Lucien au conseil provisoire de gouvernement pourrait donner de l’ombrage à la Chambre, Napoléon fit biffer sur la minute les noms des deux princes. Que lui importait ! En sa claire vision du lendemain, il ne s’abusait pas sur la valeur de la clause en faveur de son fils, que ses conseillers l’avaient engagé à ajouter à son acte d’abdication. Il connaissait trop ses « bons frères » les monarques pour espérer qu’ils sanctionneraient la transmission d’un pouvoir issu de la Révolution ; il méprisait trop les Chambres pour croire qu’elles résisteraient à la volonté de l’Europe. « Les ennemis sont là, dit-il, et les Bourbons avec eux : il faut repousser les premiers ou subir les seconds. Unis, nous pourrions nous sauver encore ; divisés, vous n’avez plus de ressources que dans les Bourbons. »

Fleury de Chaboulon avait achevé les deux expéditions de la minute ; il les présenta à la signature de l’Empereur. En signant, Napoléon s’aperçut qu’une larme maculait le papier. Il remercia Fleury par un regard sans prix, et murmura, résigné : « Ils l’ont voulu ! »

Carnot fut chargé de communiquer la déclaration à la Chambre des pairs. Pour la même mission à la Chambre des députés, l’Empereur, avec une élégance d’une ironie souveraine, désigna Fouché, le principal artisan de l’abdication.


III

Manuel, à la réception du billet de Fouché, avait modéré les impatiences et calmé les alarmes de la Chambre. On était tranquillisé, l’abdication n’étant plus qu’une question de minutes.