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loin de là, Dupin et Mourgues avaient marqué par le texte même de leurs projets de résolution que l’on devait tenir pour nulles et les Constitutions de l’Empire et la clause de l’acte d’abdication concernant la reconnaissance du Prince impérial comme empereur des Français. Regnaud était très déconcerté, car, en poussant avec tant d’ardeur et d’insistance Napoléon Ier à abdiquer, il avait cru agir dans l’intérêt de Napoléon II. Il combattit habilement les deux propositions, démontra que l’existence de la Chambre des pairs empêchait la Chambre des députés de se déclarer Assemblée nationale, et qu’à se déclarer Assemblée constituante, elle risquerait de livrer la nation à l’anarchie. « Notre premier devoir, dit-il, est de conserver, de maintenir et de réorganiser. » Mais il s’abstint de développer tout ce qu’il entendait par ces mots : conserver et maintenir. Vraisemblablement endoctriné par Fouché, qui, « voulant faire place nette, » conseillait de temporiser pour ne rien compromettre, il jugea imprudent d’aborder avec franchise la question dynastique. Il n’osa pas proposer l’établissement d’un conseil de régence et se borna à demander la nomination d’un conseil exécutif sans préciser comment il serait composé. Regnaud termina son discours en exaltant la grandeur du sacrifice qu’avait accompli Napoléon et en invitant le bureau de la Chambre à se rendre chez l’Empereur pour lui exprimer la reconnaissance du peuple français. Cette péroraison, émouvante parce qu’elle était d’une inspiration sincère, rachetait un peu l’équivoque voulue du discours. Les propositions de Regnaud furent votées d’enthousiasme. Les applaudissemens de l’Assemblée purent lui donner l’illusion qu’il avait sauvé les droits du Prince impérial.

Le bureau de la Chambre se rendit à l’Elysée. L’Empereur fit un accueil froid, presque sévère, à cette députation composée en partie de ses ennemis, Lanjuinais, La Fayette, Flaugergues. En leur phraséologie de circonstance, il entendait leur vraie pensée. « Je vous remercie, dit-il, des sentimens que vous m’exprimez. Je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France, mais je ne l’espère point ; elle laisse l’État sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France en état d’écraser l’ennemi... Renforcez promptement les armées : qui veut la paix doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers. Craignez d’être déçus dans vos