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comme membres du gouvernement provisoire avait faites dans le ministère. Bignon fut nommé aux Affaires étrangères, Pelet de la Lozère à la Police, Carnot de Feulins, le frère de Carnot, à l’Intérieur : Fouché s’était empressé d’appuyer cette candidature afin de faire parade de bonne camaraderie envers son collègue. Carnot, qui ne s’abusait pas sur l’amitié du duc d’Otrante, fut peu sensible à l’attention. Pour combattre l’élection de La Fayette à la Commission de gouvernement, Fouché avait fait entendre que l’on devait réserver à l’illustre général le commandement en chef des gardes nationales, que c’était là qu’il pourrait le mieux servir la patrie et la liberté. Mais Fouché, qui redoutait les coups de tête de La Fayette, ne voulait pas plus de lui comme chef de la garde nationale que comme membre de la Commission exécutive. Après l’avoir écarté du gouvernement, il l’évinça du commandement sous prétexte qu’il serait plus utile en qualité de plénipotentiaire. Il proposa Masséna, qui usé de corps et d’esprit n’était plus qu’une relique glorieuse. Le maréchal fut nommé sans discussion. Fouché, ainsi qu’il y avait compté, était dès le premier jour, non pas seulement le président, mais le maître de la Commission exécutive.

Il n’avait pas attendu son élection à la présidence pour agir en chef du gouvernement. Dès la soirée de la veille, il avait fait mettre en liberté le baron de Vitrolles, détenu depuis la mi-avril à la prison de l’Abbaye. Mme de Vitrolles, à qui il avait remis l’ordre d’élargissement, était chargée de dire à son mari qu’il l’attendait le lendemain de bon matin : Vitrolles n’eut garde de manquer à cet intéressant rendez-vous. Le 23 juin à sept heures, il était rue Cérutti. Fouché avait déjà des intelligences à Gand, mais il pensait que nul mieux que Vitrolles ne pourrait l’y servir. Il lui dit : « Vous allez trouver le roi. Vous lui direz que nous travaillons pour son service, et lors même que nous n’irions pas tout droit nous finirons par arriver à lui. Dans ce moment, il nous faut traverser Napoléon II, et, après, probablement le duc d’Orléans ; mais enfin nous irons au roi. » Vitrolles objecta avec vivacité qu’il vaudrait mieux aller au roi tout de suite. Après un instant de réflexion, il insinua qu’il serait plus utile à sa cause à Paris qu’à Gand, mais qu’il ne se déterminerait à rester que sous trois conditions : la garantie de sa tête, la promesse de passeports pour tous les courriers qu’il aurait à envoyer au roi, la faculté de voir secrètement Fouché une fois par jour.