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Au déclin du jour cependant, je me suis rendu à la fête du dieu Chri-Jannath-Raijie.

Son temple est blanc comme de la neige fraîchement tombée. On y monte par un escalier monumental de trente ou quarante marches, que gardent des éléphans de pierre.

La pyramide brahmanique, ici, au nord de l’Inde, n’est pas, comme dans le sud, une folle mêlée de divinités et de bêtes ; elle est plus sobre, plus mystérieusement calme ; de loin elle ressemble à un grand if de cimetière. — Et le temple de Chri-Jannath-Raijie possède plusieurs de ces pyramides, qui sont blanches aussi, blanches comme de la neige fraîchement tombée.

Sachant que nul ne pénètre dans le sanctuaire, s’il n’est Hindou et de caste noble, je suis resté dans la cour, et j’ai fait demander mes amis.

Ils sont venus à mon appel, mais vraiment ce n’étaient plus les mêmes que dans la « maison du voyageur ; » l’abîme d’incompréhension s’était creusé entre nous davantage. Et, d’abord, ils se sont excusés de ne pouvoir prendre ma main comme d’habitude, étant aujourd’hui officians et appelés à toucher des choses saintes.

Pour la première fois, je les voyais presque nus, ainsi que les prêtres ont coutume d’être en présence de leur dieu, la petite cordelette des « fils de la bouche de Brahma » traversant en bandoulière leur poitrine de belle statue bronzée. Et leurs yeux dilatés avaient une expression d’absence que je ne leur avais jamais connue.

Toujours courtois pourtant, ils m’ont fait asseoir à une place d’honneur, aux pieds d’un Vichnou de cuivre, en face même de la porte du sanctuaire.

La cour du temple était encombrée de marchands de parures, ayant des paniers tout remplis de colliers en jasmin blanc, en jasmin jaune, en roses du Bengale. Et parmi les étalages de fleurs, rôdaient, de plus en plus nombreux, les spectres de la faim, les pauvres squelettes d’une couleur terreuse, avec des yeux de fièvre.

Devant moi défilait le peuple de Brahma, montant ou descendant les marches du temple, entre les grands éléphans de pierre qui, en haut des escaliers, dressaient leurs trompes vers le ciel. Tous les hommes étaient vêtus de robes blanches, un sabre à la ceinture et plusieurs rangs de fleurs étages sur la