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nous qu’ils font cette démonstration ! Les Turcs ont peur des représailles de l’Europe.

Et en effet plusieurs musulmans notables se présentent au consulat et sollicitent une audience. Avant de les recevoir, Maurice exige qu’ils donnent leurs noms et les fait attendre longtemps dans la rue jusqu’à ce qu’il se soit assuré qu’ils n’ont pas trempé dans les tueries. Alors seulement il les reçoit, mais ne serre la main qu’à un seul, un ingénieur des routes, notre voisin, qu’on a vu sauver des Arméniens. — Ce dévouement-là, dit Maurice, la populace le lui fera payer... Gare !

Un Turc parlant français lui raconte quelque chose de bien vilain. Il paraît que les missionnaires, après avoir recueilli environ 150 hommes, n’avaient plus aucune provision dans leurs caves, les Arméniens qui y étaient cachés, dévorant tout à même. Alors plusieurs de ces réfugiés, qui justement habitaient à côté, firent savoir qu’ils avaient chez eux de l’huile, du vin, de la farine, des chèvres et des moutons. — Allez donc les chercher, dirent les Pères. — Non, on pourrait nous tuer. — Alors nous y allons.

Et voici, profitant de l’obscurité, que les Pères escaladent les murs de clôture et, après de nombreux voyages, reviennent avec toutes sortes de provisions. On se met à manger. Le repas fini, les Arméniens présentent leur note. Ils avaient doublé le prix des denrées. Les pauvres religieux n’avaient pas assez d’argent. Un des Arméniens présens s’offrit à leur en prêter, à gros intérêts, bien entendu. Notez que ces marchandises et cet argent n’avaient été sauvés que par leur proximité de la Mission. Le lendemain, rentrant chez eux, les Arméniens remportèrent effrontément tout ce qui restait de marchandises payées, et les Pères se trouvèrent dans le plus absolu dénuement.

Alors quelques Turcs, que cette rapacité avait révoltés, apportèrent des provisions à la Mission ; Hadji Loufti, un fanatique pourtant, leur donna tout un chargement de pain.

Maurice fait vérifier le fait : il est exact, mais on ne nous avait pas tout dit : les Pères ont tout de même reconduit chaque Arménien chez lui !

19 novembre. — Le froid arrive, les meurtres diminuent. Hier on n’a tué que seize Arméniens.

Un des rédifs de garde a raconté à notre boy, Sais, qu’à Gurun, qui a été assailli, soi-disant par les Kurdes, ceux-ci