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et dont le contenu, la valeur et la portée ont été précisés, déterminés, arrêtés par tout un ensemble d’œuvres. Si l’humanisme a été la loi même de l’art trois siècles avant que nos contemporains ne se fussent avisés de le découvrir, c’est donc qu’on ne les avait pas davantage attendus pour savoir ce qu’on entend quand on en parle. L’humanisme représente une conception de la vie et une conception de l’art qui ne se confondent avec aucune autre. Entre tant de définitions qu’on en a proposées, nous choisirons celle qu’en a donnée Fromentin : il n’en est guère de plus large à la fois et de plus précise. « Il existait, écrit-il dans ses Maîtres d’autrefois, une habitude de penser hautement, grandement, un art qui consistait à faire choix des choses, à les embellir, à les rectifier, qui vivait dans l’absolu plutôt que dans le relatif, apercevait la nature comme elle est, mais se plaisait à la montrer comme elle n’est pas. Tout se rapportait plus ou moins à la personne humaine, en dépendait, s’y subordonnait et se calquait sur elle, parce qu’en effet certaines lois de proportions et certains attributs, comme la grâce, la force, la noblesse, la beauté, savamment étudiés chez l’homme et réduits en corps de doctrines, s’appliquaient aussi à ce qui n’était pas l’homme. Il en résultait une sorte d’humanité ou d’univers humanisé dont le corps humain, dans ses proportions idéales, était le prototype. Histoire, visions, croyances, dogmes, mythes, symboles, emblèmes, la forme humaine presque seule exprimait tout ce qui peut être exprimé par elle. La nature existait vaguement autour de ce personnage absorbant. A peine la considérait-on comme un cadre qui devait diminuer et disparaître de lui-même, dès que l’homme y prenait place. Tout était élimination et synthèse. » Commentant cette belle page dans une des leçons de son cours sur l’Évolution de la poésie lyrique, M. Brunetière en précisait encore le sens. « Tout s’exprimait alors en fonction de l’humanité, non seulement les pensées ou les sentimens de l’homme, ses vertus ou ses vices, mais aussi les choses mêmes et jusqu’aux énergies cachées de la nature. En deux mots la forme humaine, avec ce qu’elle comportait d’altérations, d’atténuations ou d’exagérations, sans cesser pour cela d’être humaine, était censée pouvoir tout dire. L’homme était la mesure de toutes choses. Et ce que l’on désespérait de réussir à rendre par le moyen de la forme humaine, on en était arrivé à croire qu’il ne valait pas la peine d’être dit ou représenté. » C’est de la sorte que l’antiquité, lorsque, dans ses mythes, elle donne aux forces de la nature l’apparence humaine, invente l’humanisme ; c’est ainsi que la peinture et la statuaire de la Renaissance se réfèrent à la même doctrine ;