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musique de M. Mascagni. C’était d’abord l’éclatante et tragique sérénade qui, sur la petite place du village de Sicile, au soleil, faisait une tache de sang. Ailleurs, çà et là, c’était quelque trait un peu gros, mais qui portait, qui perçait même, de simple et rude vérité. C’était, dans l’ordre du récitatif ou de la déclamation, un mouvement, un accent, un cri ; dans l’ordre mélodique, c’était l’entr’acte, en dépit de sa banalité. Pour en subir, en goûter peut-être le charme tout extérieur, mais prenant, il suffisait de se faire en quelque sorte une âme italienne et populaire ; de se souvenir des quais de Naples ou de Palerme, où sonnent les pianos mécaniques par les beaux matins de printemps. Mais, dans Paillasse, rien, sauf peut-être une jolie sérénade, au second acte, ne rappelle ni le peuple, ni le pays italien.

Les élémens ou les formes de cette musique sont d’une trivialité qui n’a d’égale que leur misère. On doute si la violence est ici plus vulgaire, ou plus banale et plus veule la douceur. La plupart des motifs pourraient être proposés, — ou défendus, — comme des modèles de grossièreté mélodique ou rythmique, et la médiocrité de l’harmonie répond à l’indigence de l’orchestration.

Tout cela n’empêche pas que, depuis quelque dix ans. Paillasse triomphe partout et qu’à Paris un très grand artiste ait souhaité d’en être l’interprète. Interprète admirable par le chant, par le jeu, M. Jean de Reszké le fut une fois encore. Je l’admire pourtant moins quand il est supérieur au plus médiocre des rôles que lorsqu’il est égal aux plus beaux. M. Delmas a dit le prologue (peut-être la meilleure partie de l’ouvrage) d’une voix aussi puissante et plus souple que jamais, avec autant de verve et d’aisance qu’il montre en d’autres occasions de grandeur et de dignité, Mme Ackté, qui figure l’ardente Italienne, ajustement le genre de beauté, de voix. et de talent qu’il faut pour la défigurer. L’orchestre a manqué de mordant ; les chœurs, de mesure et de rythme. Et ce mélodrame lyrique, qui se passe dans un village de l’Italie du Sud, le 15 août à sept heures du soir, se joue à l’Opéra, dans un décor de Normandie, aux lanternes.


CAMILLE BELLAIGUE.