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frivolité. M. Donnay y excelle. Il s’en est approprié les procédés et en a tiré des œuvres qui ne sont pas sans grâce. Mais il a le tort d’y rester fidèle les jours même où, travaillant pour la Comédie-Française, il se met en devoir de faire choix d’un beau sujet de pièce et d’une situation pathétique. Abordant le genre de la comédie de situation où tous les développemens sont commandés par la nécessité de résoudre un problème une fois posé, il y applique les ressources d’un art dont la merveille est de se jouer capricieusement autour de rien. Le résultat est qu’il arrive à la partie intéressante de son œuvre à l’instant précis où nous sommes lassés de l’attendre et trop tard pour qu’il ait encore le loisir de la traiter.

La situation qui sert de donnée à l’Autre danger est celle d’un homme amoureux de la fille de sa maîtresse. On n’en imagine guère de plus désobligeante. S’éprendre d’une jeune fille parce qu’on est l’amant de la mère, parce qu’elle ressemble à la jeunesse d’une maîtresse qui commence à vieillir, parce qu’on espère retrouver auprès d’elle les sensations qu’on demande vainement à un amour changé en habitude, c’est une calamité à laquelle il se peut qu’on soit exposé, parce qu’on n’est jamais tout à fait à l’abri d’une surprise des sens. Mais que ce goût se développe, grandisse, s’exalte en passion, c’est ce qui n’est pas possible sans une secrète complaisance ; car, s’il est commode, il n’est pas vrai de dire que nous subissions la passion comme une fatalité : elle aussi est en grande partie dépendante de notre volonté. Tranchons le mot : c’est un cas de libertinage, une espèce d’aberration. Un homme qui n’a pas perdu tout sentiment de moralité vient-il à découvrir qu’il a laissé monter cette boue du fond trouble de son être, il en concevra pour lui-même une espèce d’horreur qui lui rendra la vie insupportable. Les meilleurs de nos romanciers contemporains ne s’y sont pas trompés. Le héros du roman de Maupassant, Fort comme la mort, se jette sous les roues d’une voiture. Celui du roman de M. Bourget, le Fantôme, a été hanté par l’idée du suicide, et ne redevient capable de vivre, et de quelle vie douloureuse ! qu’après avoir, en quelque manière, soulagé sa conscience par une confession tragique.

Audacieuse dans le livre, une telle étude peut-elle être transportée à la scène avec tous les développemens qu’elle comporte et n’y pas paraître révoltante ? Songez que, le langage de l’amour ne disposant que d’un vocabulaire des plus restreints, il faudra que nous entendions notre amoureux sur le retour faire hommage à la fille des mêmes mots et des mêmes sermens dont il a abusé la mère. Songez que nous aurons