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Freydières, joli garçon d’une trentaine d’années, retrouve en Claire Jadain une amie d’enfance. Il l’a aimée étant collégien et ç’a été pour lui un gros chagrin quand elle s’est mariée. Il lui rappelle toutes sortes de gentils souvenirs d’autrefois. Par exemple, il pourrait lui redire la couleur de la robe et la forme du chapeau qu’elle portait un tel jour. Situation banale en somme et d’où il se tire avec les banalités d’usage. Nous devinons bien que cette rencontre aura ses suites naturelles, que Claire deviendra la maîtresse de Freydières. Certes l’auteur reprend les choses d’un peu loin, mais il aurait pu remonter au temps où Claire et Freydières jouaient au cerceau. De la fille de Mme Jadain, à peine est-il parlé : au surplus, ce n’est qu’une fillette de quatorze ans ! Freydières nous renseigne en passant sur un trait particulier de sa nature ; il est de ceux qui. fidèles à un même idéal, n’aiment dans toute leur vie qu’une seule femme, mais peuvent l’aimer en plusieurs personnes. Nous ne faisons pas grande attention à cette particularité, car rien ne nous avertit qu’elle doive prendre dans la suite une importance essentielle Ainsi nous ne voyons pas même poindre le vrai sujet. La comédie qui s’annonce est celle d’un amour ébauché avant le mariage et qui, après le mariage, va s’achever en liaison. D’ailleurs, on fait beaucoup de musique dans cet acte. Dans les maisons où l’on chante, c’est qu’on n’a pas grande envie de causer.

La scène la plus amusante du second acte est celle où Jadain s’irrite contre son associé Einstein. C’est Jadain qui travaille, invente, surveille, exécute ; c’est Ernstein qu’on décore ! Il oublie qu’Ernstein, en se l’associant, a fait sa fortune et l’a tiré d’un poste médiocre où il s’enlizait pour toujours. Mais ceci n’est qu’un hors-d’œuvre. Quatre années se sont passées depuis le premier acte. Naturellement, Freydières est devenu l’amant de Claire. Et, comme il est en même temps l’ami du mari, le familier de la maison, cela entraîne toutes sortes de compromissions qui l’irritent et lui gâtent sa joie. Ajoutez que Claire a maintenant une grande fille à laquelle il faut qu’elle consacre une partie de son temps. Ce n’est plus seulement le mari, les parens, les amis, les indifférens, c’est encore cette grande fille, Madeleine, que Freydières va trouver entre sa maîtresse et lui. Voilà donc comment se dessine la comédie : on va nous montrer, en dépit d’un mot connu, combien il peut être fâcheux d’avoir pour maîtresse une honnête femme. Les devoirs d’épouse, de maîtresse de maison, de mère reprennent peu à peu l’adultère bourgeoise et mettent l’amant en fuite. Le pot-au-feu est plus fort que l’amour.