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sentimens très différens, à confirmer l’opinion de Caulaincourt sur l’hostilité de la Chambre. L’Empereur les quitta pour se mettre au bain. Il s’y trouvait depuis quelques instans quand on lui apprit la venue de Davout. Il donna l’ordre de l’introduire dans sa salle de bains. Lorsqu’il le vit entrer, il leva les deux bras en l’air et les laissa retomber de tout leur poids dans l’eau qui rejaillit jusque sur l’uniforme du maréchal. « Eh bien ! Davout ! Eh bien ! » s’écria-t-il. Puis il retraça le désastre, décrivit l’état de dissolution où se trouvait l’armée, s’épancha en plaintes, comme avec Caulaincourt, contre le prince de la Moskowa, Davout prit la défense de Ney : « Il s’est mis la corde au cou pour vous servir, » dit-il. L’Empereur l’interrompit par ces mots : « Qu’est-ce que tout ça va devenir ? » « Rien n’est perdu, répondit Davout, si Votre Majesté prend promptement des mesures énergiques. La plus urgente est de proroger les Chambres, car, avec son hostilité passionnée, la Chambre des représentans paralysera tous les dévouemens. »

Le temps passait, les ministres étaient réunis. Davout pressa L’Empereur de sortir du bain pour venir au conseil. Napoléon n’y mit nulle hâte. Il se fit vêtir lentement ; quand il fut habillé, il prit un léger repas. Dix heures avaient déjà sonné. Les ministres étaient surpris que l’Empereur tardât tant ; ceux d’entre eux qui lui gardaient encore leur foi s’alarmaient de cette indolence. Il parut enfin.

Le conseil était au complet. Il y avait les princes Joseph et Lucien, Bassano, ministre secrétaire d’État, les huit ministres à portefeuille, Cambacérès, Caulaincourt, Carnot, Gaudin, Mollien, Davout, Decrès et Fouché, les quatre ministres d’État, membres de la Chambre des représentans, Defermon, Regnaud, Boulay, Merlin de Douai, et le secrétaire du conseil des ministres, Berlier.

L’Empereur ouvrit la délibération par un court exposé des événemens militaires et de l’état actuel de l’armée du Nord. Puis il dit : « Nos malheurs sont grands. Je suis venu pour imprimer à la nation un grand et noble dévouement. Que la France se lève, l’ennemi sera écrasé… J’ai besoin pour sauver la patrie d’être revêtu d’un grand pouvoir, d’une dictature temporaire. Dans l’intérêt public, je pourrais me saisir de ce pouvoir ; mais il serait plus utile et plus national qu’il me fût donné par les Chambres. » Les ministres gardant un morne silence, expression trop