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« Ce diable d’homme ! dit-il quelques heures plus tard à un royaliste de ses amis, il m’a fait peur ce matin. En l’écoutant, je croyais qu’il allait recommencer. Heureusement, on ne recommence pas. »


IV

Pendant que l’on discourait à l’Elysée, la Chambre agissait.

Les séances commençaient généralement à deux heures, mais dès le matin, ce jour-là, les députés étaient venus en foule au Palais du Corps législatif. Ils remplissaient les salles et les couloirs, formant des groupes effarés et bourdonnans où se mêlaient des membres de la Chambre des pairs, des journalistes, des gardes nationaux, des gens de toute espèce qui entraient, sortaient et rentraient tour à tour. « C’était l’aspect d’une ruche d’abeilles en anarchie, » dit le général Thiébault. On se communiquait des détails sur le désastre de Mont-Saint-Jean, on en exagérait encore l’étendue. L’armée entière était détruite ; pas un homme n’avait échappé ; déjà la cavalerie anglaise était à Saint-Quentin. On fulminait contre l’Empereur. Le matin, Sieyès avait dit à Lanjuinais, qui se trouvait avec lui chez le prince Joseph : « Napoléon a perdu une bataille, il a besoin de nous. Marchons avec lui. C’est le seul moyen de nous sauver. Le danger passé, s’il veut être despote, nous nous réunirons pour le pendre. Mais aujourd’hui sauvons-le pour qu’il nous sauve. » Dans les Chambres, nul ne raisonnait comme Sieyès. On pensait non pas à sauver la France par l’Empereur, mais à perdre l’Empereur, quitte à perdre la France. Chaque parole était une accusation. L’Empereur était la seule cause de la guerre. On ne s’était rallié à lui, malgré les menaces de son despotisme latent, que par un reste de confiance dans ses talens militaires. Et vieilli, usé, devenu à demi fou, il n’était plus même capable de commander. Il ne savait plus que faire massacrer ses soldats et s’enfuir. Il venait d’abandonner son armée comme il l’avait fait deux fois, en Égypte et en Russie. Il arrivait à Paris pour exiger du pays de nouveaux sacrifices qui lui permissent de mener encore follement cent mille Français à la boucherie et à la défaite. Que n’était-il resté à l’île d’Elbe ! Que n’avait-il été tué à Mont-Saint-Jean ! Et maintenant l’abdication n’était-elle pas l’unique parti qu’il eût à prendre ? Les députés criaient d’autant