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IV

C’est bien aussi comme un pays riverain de la Méditerranée, plus encore que comme un État africain, qu’en Italie la Tripolitaine passionne l’opinion publique et préoccupe les hommes d’État. Que les côtes de Tripoli et de Cyrène ne doivent cesser d’être turques que pour devenir italiennes, c’est ce que personne ne met en doute dans la péninsule, et le gouvernement a réussi à faire admettre tacitement qu’il possède, sur les deux vilayets de Tripoli et de Barka, une sorte de droit de préemption. Ce droit, les Italiens ont-ils quelques raisons de le revendiquer, sont-ils sur le point de le faire valoir, c’est ce que nous nous demanderons maintenant.

La Tripolitaine est aujourd’hui trop connue pour que nos voisins espèrent y trouver, le jour où elle tomberait entre leurs mains, la clé du Soudan ou le débouché d’un très grand commerce. Il y a beau temps que la fameuse prédiction de Rohlfs a perdu tout crédit : « Celui qui possédera Tripoli, écrivait-il sera le maître du Soudan ; la possession de Tunis ne vaut pas la dixième partie de celle de Tripoli. » En dépit de la formule plus frappante que vraie du célèbre voyageur allemand, nous serions imprudens d’offrir aux maîtres, quels qu’ils soient, de la Tripolitaine, d’échanger, contre leur lot, notre Tunisie.

C’est d’abord un pays de colonisation et d’expansion que les Italiens, n’ayant plus le choix dans l’Afrique partagée, espèrent acquérir sur les rivages des Syrtes. Ils n’ignorent pas cependant que toute la Tripolitaine, si l’on en excepte de rares oasis, est et sera toujours rebelle à la culture ; quelques puits qui pourraient être creusés, quelques oasis artésiennes qui pourraient être créées, ne suffiraient pas à transformer le désert en un jardin ou la steppe en un champ de blé. Mais, en Cyrénaïque, quoique l’étendue cultivable ne dépasse pas les limites du plateau de Barka, les paysans de l’Italie du Sud trouveraient une terre où un certain nombre d’entre eux pourraient vivre plus à l’aise que dans les Pouilles ou les Calabres. C’est pour cette raison que plusieurs députés socialistes au parlement de Montecitorio, comme le fameux agitateur sicilien de Felice, se montrent partisans d’une expédition prochaine, tandis que d’autres, comme M. Enrico Ferri, plus préoccupés de leurs passions