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correspondances ; ces ruses malhonnêtes ne sont pas très longues à découvrir.

La Compagnie est garantie contre tout préjudice de la part de ses agens, responsables de leurs recettes, mais ceux-ci, dans leur encaissement hâtif, sont sujets à des pertes minimes, qui risqueraient, en se répétant, de rogner leurs salaires. Il se trouve, parmi les voyageurs, des âmes généreuses pour gratifier les conducteurs de légers pourboires ; il se trouve aussi des êtres assez vils pour profiter de leurs erreurs.

Un observateur misanthrope s’est plu à faire maintes fois l’expérience de cette ignominie, au temps des anciens omnibus, où les voyageurs se passaient leur argent et se repassaient leur monnaie les uns aux autres. Assis à mi-distance entre le marchepied et le fond de la voiture, au voisin qui lui avait confié une pièce de 0 fr. 50 pour payer sa place, il rendait 0 fr. 30 de gros sous, au lieu des 0 fr. 20 qui lui revenaient, auxquels il ajoutait, sans être vu, 0 fr. 10 de sa poche. Il était, paraît-il, très rare que le destinataire signalât cette méprise, qu’il devait croire imputable au conducteur. Le plus souvent, il s’appropriait les deux sous, rendus en trop, sans mot dire.


V

Dans les Faux Bonshommes de Théodore Barrière, la fille aînée d’un agent de change, qui prétendait épouser, contre le gré de sa famille, un artiste sans fortune dont elle était amoureuse, cède enfin aux représentations de son entourage, et sa cadette, moins romanesque, s’écrie, triomphante, en apprenant la rupture de ce mariage : « Au moins, ma sœur n’ira pas en omnibus ! » Naturelle en 1868, où c’était une sorte de déchéance, une humiliation intime, en certains milieux, que « d’aller en omnibus, » cette exclamation n’aurait plus de sens aujourd’hui, où des duchesses et des archi-millionnaires coudoient, sur ces coussins démocratiques, des clercs d’huissier et des cuisinières, tandis qu’on voit souvent des maçons revenir de leur journée en fiacre.

Les mœurs ont changé, et aussi les omnibus, plus vastes, plus propres, chauffés, munis de plates-formes et d’escaliers praticables pour accéder à leurs impériales, lesquelles sont couvertes et, sur les tramways, abritées, toutes différentes de celles d’il y a