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amoureux, lui de sa femme et elle de son mari et de sa liberté. J’en jouis pour ma part, car je puis la voir comme jadis : elle est toujours charmante. »

A propos de la princesse Charlotte et de la famille royale ; il convient de citer encore ce passage d’une lettre du 30 octobre 1816 : « Je vois beaucoup les Cobourg et, dans le fait, je suis maintenant la plus intime liaison de la princesse Charlotte, tout en gardant de mon côté la mesure et la prudence nécessaires pour ne point donner ombrage au père, car les relations de famille sont les mêmes que de votre temps. Le mari fait fort bien ; elle lui est extrêmement attachée et soumise. Je ne réponds point de la durée de ce bonheur conjugal ; mais, certes, il est bien à désirer qu’il se consolide.

«… Je vois toujours la duchesse de Cumberland[1] qui malheureusement se trouve dans une situation à ne jamais espérer de réconciliation avec la reine, et comme la cour est brouillée avec elle, les particuliers aussi s’en écartent et lui font éprouver toutes les humiliations possibles. Je me suis mise sur un pied assez indépendant pour pouvoir lui témoigner de l’intérêt, malgré l’anathème général, et l’amitié que je ne lui eusse point montrée si elle se trouvait dans une situation prospère, je me crois tenue en conscience de ne point la lui refuser lorsqu’elle peut lui être de quelque utilité ou seulement d’un peu d’agrément… »

Voilà, certes, qui n’est pas d’un mauvais cœur, et cette assistance accordée à une princesse malheureuse dépourvue de tout pouvoir, de tout crédit, prouve qu’au moins dans sa jeunesse, Mme de Liéven, a qui, plus tard, la spontanéité des élans de l’âme sera contestée, l’a véritablement possédée et en a fait usage au profit d’autrui. En ce temps-là, du reste, femme et mère heureuse, adulée, admirée, sinon pour sa beauté, du moins pour son esprit et ses dons de séduction, non encore méconnue par son mari, épargnée par le malheur qui s’apprêtait à la frapper sans merci, en lui enlevant son père, son plus jeune frère, deux enfans, elle est peu disposée à ce pessimisme dont s’assombriront les vingt-cinq dernières années de sa vie.

Elle est mordante dans ses jugemens. Ils se manifestent indulgens ou sévères selon que les gens sur qui elle les porte sont les amis ou les ennemis de son pays, qu’elle aime

  1. Belle-sœur du prince-régent, dont elle avait épousé le frère après la rupture d’un premier mariage, rupture que la reine mère ne lui pardonnait pas.